Transparence ou efficience : faut-il choisir ?

Il est d'usage depuis quelque temps, dans nos démocraties avancées, de rechercher, pour les moderniser et les adapter au temps, les principes de fonctionnement éthiques dans une perspective dite de bonne gouvernance. Le contrôle de la corruption, le libre fonctionnement des marchés, l'État de droit ou la transparence de l'action publique en sont quelques piliers. Mais la méthode suivie est-elle la bonne ? On peut rappeler que la doxa, en matière de gouvernance d'entreprise, a visé jusqu'à une date récente à la prévention et la sanction des conflits d'intérêts « intrinsèques » entre dirigeants et actionnaires, réputés poursuivre au travers de l'entreprise des objectifs potentiellement contradictoires.La transparence devait ainsi conduire à la modération des rémunérations ; le contrôle du management par des comités devait prévenir l'arbitraire du prince ; l'alignement des intérêts économiques des dirigeants et de ceux des actionnaires grâce aux stock-options devait profiter à l'intérêt commun ; le contrôle interne prévenir les catastrophes à la Kerviel. La crise a révélé l'inefficacité de nombre de ces approches, qui alourdissent en revanche le fonctionnement des entreprises cotées, petites et grandes. Finalités vertueuses, effets insuffisants, mais surtout pervers... En témoignent l'inflation des hautes rémunérations dans les grandes entreprises ou leur gestion souvent court-termiste sous la férule des marchés... Au point que l'objectif des théoriciens actuels de la gouvernance d'entreprise et de certaines organisations patronales (Middlenext) est de travailler sur les déterminants du lien présumé entre la structure et le fonctionnement du système de gouvernance et les processus de création de valeur.Las, entre tempêtes médiatiques et tohu-bohu blogosphérique, notre appareil politico-administratif semble à son tour tenté de suivre la voie de cette gouvernance formelle, sans tenir compte des enseignements empiriques que lui offrent les sciences de gestion. Sans nier la nécessité de moraliser la vie publique, le recours à la comitologie, l'érection de la notion de conflit d'intérêts en tabou ultime ou la prolifération de rapports fournissent-ils aux errements symboliques constatés ces derniers mois des réponses adéquates et suffisantes ? La gestion des crises sous la pression du moment oblige à des réactions immédiates et conformistes, empreintes de bonne volonté, mais témoignant souvent d'un manque de vision d'ensemble et d'une appréhension procédurale de sujets fondamentalement éthiques. Tout comme la surabondance de l'information boursière tue la vocation première de la transparence, à savoir éclairer l'investisseur, l'avalanche d'informations sur les patrimoines de nos gouvernants, sur leurs conflits d'intérêts potentiels (rapport Sauvé) ou sur leurs frais de fonctionnement pourrait nuire demain à la lisibilité et à l'efficacité de l'action politique ; des rapports sans lendemain, de déontologues ou de comités, fleuriront sans doute, sans plus d'effets que ceux de la Cour des comptes, mais qui pourraient relayer une image négative de la chose publique, et nourrir l'abstentionnisme et le populisme.Il ne faut certes pas rejeter une tendance favorable à l'émergence d'une formalisation de l'éthique ou se contenter de regretter que l'évolution des moeurs ait rendu cet exercice nécessaire. Mais entre contraintes électorales (obtenir des votes et des subsides), routine bureaucratique et médiatisation éphémère, il faudra aussi rester vigilant quant à l'efficacité réelle, et non pas de façade ou de circonstance, de ces processus de « bonne gouvernance ». Sans pour autant assigner à une énième commission la tâche d'en rendre compte ou d'en juger...
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