Comment Chérèque veut conjurer le piège de 2003

Aujourd'hui encore, François Chérèque campe sur ses positions. Il n'a « aucun regret » d'avoir soutenu la réforme des retraites de 2003. Tout juste concède-t-il avoir eu « le tort d'avoir raison tout seul ». Mais sur le fond, il le répète, il assume ses choix. D'ailleurs, il en tient pour preuve que la récente position du Parti socialiste (PS) ne met plus en cause l'allongement de la durée de cotisation et l'alignement public-privé décidé en 2003. Une douce revanche pour celui qui a alors mal vécu de voir le PS applaudir, lors de son congrès de Dijon, un Bernard Thibault hostile à la réforme. Et réclamer son abolition, à l'époque.Pourtant, malgré l'assurance affichée par François Chérèque, l'épisode de 2003 a laissé des traces à la CFDT, en interne comme en externe. Pas question en 2010 de soutenir la réforme voulue par Nicolas Sarkozy. Même si, pour François Chérèque, l'exercice est des plus délicats. Il doit maintenir l'image d'une CFDT réformiste, prête à prendre ses responsabilités face aux grands enjeux sociaux. Sans tomber dans le piège de 2003 qui a mis le feu à la centrale du boulevard de la Villette et valu à son secrétaire général d'être considéré comme le vilain petit canard sur l'échiquier syndical.Il y a sept ans, tout s'est noué dans la journée du 15 mai. Le matin, à l'issue d'une nuit de négociation avec François Fillon, alors ministre des Affaires sociales, François Chérèque déclare : « Le compte n'y est pas. » Douze heures plus tard à peine, en fin de journée, après avoir obtenu de Matignon un dispositif pour les « carrières longues », le leader de la CFDT juge le « compromis acceptable ». Très vite, il est évident que l'expression ne passe pas dans l'organisation. Et qu'une partie des militants lâche celui qui a succédé à Nicole Notat un an auparavant.La saignée sera rapide. Dès 2003, selon les propres chiffres donnés par François Chérèque dans « Si on me cherche... », le livre d'entretiens réalisé avec Carole Barjon (Éditions Albin Michel), plus de 30.000 syndiqués claquent la porte. Et ce n'est qu'un début. En 2004, c'est l'hémorragie, avec 817.934 militants officiellement répertoriés, contre 873.777 en 2003. La crise a été d'autant plus violente que des unions départementales ou régionales - la Haute-Loire ou l'Auvergne, par exemple - ont d'un bloc basculé vers la CGT ou Solidaires. En 2009, même si la courbe est positive depuis 2007, la confédération, avec 833.108 affiliés, n'a toujours pas renoué avec son niveau d'avant 2003.À l'époque, l'une des erreurs de François Chérèque fut de soutenir la réforme Fillon sans attendre le feu vert de ses troupes. Tout juste a-t-il consulté son exécutif confédéral le 15 mai dans la soirée, mais le « compromis acceptable » est déjà public et le mal fait. Cette année, le secrétaire général veut profiter de son congrès pour se livrer à un exercice de démocratie interne sous l'oeil des médias et de l'opinion publique. Sur les vingt-trois débats prévus durant la semaine, trois porteront sur la réforme des retraites. À quelles conditions la CFDT est-elle prête à accepter un nouvel allongement de la durée de cotisation ? Faut-il entamer une unification des régimes pour améliorer la situation des polypensionnés ? Où trouver de nouvelles sources de financement ? Les militants voteront sur ces trois points. Des scrutins étudiés avec attention par la direction confédérale, mais aussi par l'exécutif. « Nous avons fait un gros travail de pédagogie, de rencontres avec les militants depuis plusieurs mois. J'espère que ce travail va payer. Mais nous ne sommes pas à l'abri d'un contexte, d'une incompréhension, surtout sur un sujet tellement affectif dans la CFDT », prévient François Chérèque, qui joue à Tours la sérénité pour son dernier mandat de quatre ans.En externe aussi, la CFDT a changé de méthode. En 2003, le cavalier seul de François Chérèque au soir du 15 mai ne lui a pas valu que des amis dans le camp syndical. Pourtant, l'année a commencé sous le signe de l'unité. Jean-Christophe Le Duigou et Jean-Marie Toulisse, les « Messieurs retraite » de la CGT et de la CFDT animent un groupe de travail commun aux deux organisations. Début janvier, une intersyndicale élargie à la CFTC, FO, FSU et l'Unsa publie une plate-forme de revendications en sept points. Mais l'union ne dure pas. La CFDT ne s'associe pas à la grande manifestation du 13 mai 2003. Le soutien qu'elle apporte deux jours plus tard à la réforme fait voler en éclats le front syndical. Bernard Thibault retient ses mots et se contente de commenter : « La CFDT n'a pas eu une attitude convenable. » Mais les deux hommes resteront en froid plusieurs années. Et la réconciliation n'interviendra qu'en 2006 lorsque la CFDT rejoint l'intersyndicale opposée au contrat nouvelle embauche (CPE).Cette fois, l'alliance avec la CGT semble plus solide. Elle a démarré à l'occasion de la réforme de la représentativité syndicale en 2008 avec une « position commune » validée par les seules CGT et CFDT, s'est poursuivie au sein de l'intersyndicale à l'origine des grandes manifestations de 2009. Sur les retraites, Bernard Thibault et François Chérèque s'accordent. Leurs propos se font souvent écho. Ainsi, au lendemain des manifestations du 27 mai, quand le premier dénonce, au nom de la CGT, « une forme de mépris provocante » de la part de Luc Chatel, qui a jugé « faible » la mobilisation, le second s'étonne du jugement « presque méprisant » du porte-parole du gouvernement.Jusqu'à son congrès, la CFDT tiendra bon sur le front unitaire. Mais ensuite ? Le gouvernement s'emploie depuis des semaines à diviser les syndicats en faisant des gestes à destination des uns et des autres. L'objectif est double : amoindrir les critiques de Bernard Thibault et s'assurer de la neutralité de François Chérèque.Pour l'instant, le secrétaire général de la CFDT affiche sa fermeté. En particulier, son rejet du report de l'âge légal de départ au-delà de 60 ans. Un report qu'Éric Woerth, le ministre du Travail, vient d'officialiser. Mais déjà, François Chérèque précise que son rôle de syndicaliste consiste aussi à atténuer les effets d'une réforme pour les plus fragiles. À l'heure de la décision, tout sera question de communication. Nul doute que François Chérèque sera prudent dans le choix de ses mots. Et qu'un « non mais » lui semblera de loin préférable au « compromis acceptable » qui lui a coûté si cher en 2003...Agnès Laurent
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