Le dictateur et les ultrariches

L'origine de la fortune des familles Ben Ali ou Moubarak est-elle aussi sulfureuse que celle d'un John Paulson aux États-Unis ? Le gérant de « hedge funds » a gagné personnellement 4 milliards de dollars en 2008 après avoir parié sur l'effondrement de l'économie américaine. En 2010, il a encaissé 5 milliards de dollars après avoir misé sur la hausse des matières premières et de l'or. Là où apparaît une zone de souffrance pour le plus grand nombre - en 2008, les faillites et le chômage, en 2010, la hausse des coûts qui freine la reprise -, on est sûr de voir John Paulson baliser le terrain avec précaution. Est-ce bien, est-ce mal ? Au-delà de la morale, il y a l'état de l'opinion publique, le degré de tolérance d'une population qui un beau jour - sans que l'on sache pourquoi - rompt les amarres et renverse les trônes.Qui pouvait imaginer que le petit chariot de fruits et légumes de Mohamed Bouazizi en Tunisie donnerait le signal de la révolte de millions d'Arabes habituellement passifs face à la captation de la richesse au Moyen-Orient ? Qui est assez naïf pour croire qu'un feu de joie allumé par des jeunes n'entre pas en résonance avec les frustrations d'autres jeunes, oubliés de la croissance et de l'emploi ?Le magazine américain « The Atlantic » publie le récit d'une plongée de la journaliste Chrystia Freeland au sein de la nouvelle « élite globale » (*). Plus exactement, l'élite de l'élite, la caste étroite des « très très riches », celle qui est non seulement coupée des classes moyennes mais aussi - et c'est nouveau - de la masse grandissante des cadres supérieurs mondialisés. Un cercle d'à peine quelques milliers de membres, soumis à un code de comportement anglo-saxon bien qu'il intègre une forte proportion de Chinois, d'Indiens, de Russes et de Latino-Américains, chacun ayant sa conception particulière du bien commun.D'un côté, des stars de la Silicon Valley, des banquiers austères, des milliardaires philanthropes qui ont la passion de l'entreprise et du progrès. De l'autre, des aventuriers légitimés par leurs butins, des héritiers de dynasties du tiers-monde, des bénéficiaires de rentes assises sur des démocraties approximatives.Le thème du creusement des inégalités dans les pays développés revient en boucle dans les débats depuis 1980. Mais aujourd'hui, il prend une consistance explosive. Dès 2005, trois analystes de Citibank s'inquiétaient de l'effet dépressif de l'excessive concentration des fortunes. Ils redoutaient la dérive vers un monde divisé en deux blocs, la « Plutonomy » et « le reste ». D'un côté, une ploutocratie ensevelie sous les richesses mais trop restreinte pour n'être autre chose qu'un moteur annexe de marchés de niches. De l'autre, le « reste », la multitude des consommateurs, moteur principal - mais bridé à l'Ouest - de la croissance et du marché. Six ans plus tard, la fracture s'est creusée et la rancoeur des peuples expose l'Occident aux pires régressions populistes.Les « très très riches » se décrivent comme des travailleurs acharnés, des « méritocrates », des prosélytes du développement des économies émergentes. Ils oublient que leur fortune reste alimentée pour l'essentiel par les consommateurs solvables d'Europe et d'Amérique du Nord. Peu regardants sur le CV des ultrariches qu'ils croisent dans les dîners à Manhattan ou à Shanghai, ils sont convaincus d'appartenir à l'avant-garde indispensable dont l'économie mondiale a besoin. Indispensable ? Le crash de l'avion polonais qui avait décapité l'élite du pays a-t-il mis une seconde la Pologne en péril ? (*) « The rise of the new ruling class. How the global elite is leaving you behind ». Chrystia Freeland, « The Atlantic », janvier-février 2011.Theatlantic.com.
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