Le flop de la « big society »

Le Premier ministre britannique est revenu une nouvelle fois à la charge mi-février, tenant son troisième grand discours sur la « big society » depuis son élection l'an dernier. Et il ne mâche pas ses mots. « La ?big society? est ma mission en politique », clame-t-il. Et il ajoute : « Je veux que ce pays (la) construise, et je me battrai tous les jours pour cela. » Pourtant, aussi attirant soit-il, le concept est en train de faire un complet flop. La « big society » est un concept inventé par les conservateurs ces dernières années. En gros, cela consiste à appeler chaque citoyen à se mobiliser pour l'ensemble de la société. Cela va du travail des associations caritatives pour aider les plus pauvres au volontariat dans la bibliothèque du quartier, en passant par des projets plus ambitieux : permettre aux parents d'élèves de créer leurs propres écoles, ou bien décentraliser la gestion du système de santé en la confiant aux médecins. Avec un mot d'ordre : redonner le pouvoir aux individus et mettre fin au gouvernement « big brother » qui dicterait tout.« L'état de notre nation n'est pas seulement déterminé par le gouvernement, mais aussi par des millions d'actions individuelles, expliquait en octobre David Cameron. (...) Trop de gens pensent : j'ai payé mes impôts, je laisse l'État s'occuper des problèmes. Mais l'État centralisé, qui dépense beaucoup, a été défait. L'étatisme a perdu. La société a gagné. » Et il ajoutait : « Le pays a besoin de vous. »Politiquement, l'idée est habile. C'est une sorte de réponse à la « troisième voie » de Tony Blair à la fin des années 1990. Si cette dernière permettait aux travaillistes de montrer qu'ils n'étaient pas opposés au libre marché, la « big society » permet aux conservateurs de faire croire qu'ils ne sont pas des idéologues ultralibéraux. « Je suis différent de Margaret Thatcher », souligne David Cameron, qui espère ainsi mettre fin à l'image de « méchant parti » qui colle à la peau des conservateurs depuis une quinzaine d'années. Cela tord en particulier le cou à cette malheureuse phrase de la Dame de fer : « La société n'existe pas » (sous-entendu, il n'y a qu'une addition d'individus). À priori, qui pourrait être contre une société plus solidaire, où chacun joue un rôle actif ? Encourager le volontariat ne peut qu'être salué. Le problème, c'est que la fraternité ne se décrète pas. Or, le gouvernement appelle à cet élan d'entraide alors même qu'il se lance dans un plan d'austérité sans précédent. Les coupes budgétaires, qui visent à équilibrer le budget en cinq ans, sont beaucoup plus brutales que celles imposées par Margaret Thatcher.Sur le terrain, la « big society » est la première à en souffrir, à commencer par les 38.000 associations caritatives qui vont voir leurs subventions publiques réduites, voire supprimées. De plus, les initiatives censées lancer ces projets peinent à décoller : la mairie de Liverpool, qui devait mener un projet pilote accordant plus de pouvoir aux associations et au volontariat, y a renoncé. Ironie des ironies, Lord Wei, le conseiller de David Cameron sur le sujet, vient de réduire le nombre d'heures - non payées - qu'il consacrait à cette tâche, s'apercevant qu'il ne gagnait pas assez bien sa vie de cette façon.L'exemple des écoles créées par les parents en dit également long. L'idée avait séduit les Britanniques pendant la campagne électorale l'an dernier : si l'école publique locale est jugée de trop mauvaise qualité, des groupes de parents sont autorisés à créer leur propre établissement, financé par l'État. Celui-ci peut imposer ses propres règles, notamment en ce qui concerne les contrats de travail des enseignants, la discipline et même le programme scolaire. Mais, là encore, l'enthousiasme de principe des Britannique se heurte à la réalité. Neuf mois après l'élection des conservateurs, seules neuf écoles de parents ont obtenu le feu vert pour ouvrir leurs portes en septembre prochain. La difficulté est évidente : la plupart des parents d'élèves n'ont ni l'énergie ni le temps de s'occuper de cela.Conclusion : les deux tiers des Britanniques considèrent aujourd'hui la « big society » comme une feuille de vigne vierge habilement mise en avant, destinée principalement à cacher les coupes budgétaires. C'est dommage. L'idée d'une société plus solidaire, aux décisions moins centralisées, est séduisante. Mais en faire une théorie politique, censée remplacer miraculeusement l'État pendant la pire période de coupes budgétaires de la Grande-Bretagne, n'était guère crédible.Demain : Le multiculturalisme au Royaume-Uni, ça marche ! L'analyse
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