entretien

Les défilés de prêt-à-porter masculin printemps-été 2011, tout juste terminés, voici la haute couture de l'hiver prochain qui entame ses shows. Les joailliers de la place Vendôme dévoilent les parures de leurs nouvelles collections aux acheteurs et journalistes du monde entier. Le grand spectacle de la mode va bon train. Mais, au-delà des paillettes, un an et demi après le début de la crise, quid de la créativité ? Quelles sont les perspectives du secteur ? Analyse avec Jean-Jacques Picart, consultant mode dont l'expertise est la plus influente du secteur. La chute de Lehman Brothers en octobre 2008 a eu des conséquences sans précédent sur le secteur de la mode. Où en est-on aujourd'hui ?On ne pense plus la mode de la même manière. Même si les porte-feuilles des clients du luxe restent fournis, leur façon de dépenser est différente. C'est comme si chacun, avant d'acheter, mettait le bouton du magnétophone sur pause pour s'interroger : « Ce vêtement, j'en ai vraiment envie ? À ce prix-là ? » Précédemment, les acheteurs dépensaient sans compter. Et cela est le cas, non seulement pour les consommateurs, mais c'est aussi valable pour tous les acteurs de la chaîne : les grossistes, les détaillants, les designers. Notre époque plébiscite la créativité ajustée, le juste prix, le multi-usage. Le prix du rêve, c'est fini ?Le prix du rêve déconnecté de toute réalité et l'arrogance sont désormais totalement obsolètes et rejetés en bloc. Les consommateurs sont en quête de produits modestes qui ne les font pas se sentir coupables, ou, de produits justes qui les rassurent dans leur quête de sens. Nous sommes obligés d'apprendre à relativiser ; la mode est un secteur important, il contribue à l'équilibre économique de notre pays, mais ce n'est que de la mode. Avant, entre nous, on pensait : « Oh, cette robe est géniale ! » Aujourd'hui, le mot d'ordre est plutôt : « Cette robe est géniale, mais ce n'est qu'une robe. » Ça change tout. Il n'y a rien de plus pathétique qu'une « fashionista » qui s'habille de la tête aux pieds en total look. Elle paraît stupide, vide de sens. La conscience collective appelle à la décence. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus de place pour les privilégiés, mais que le tape-à-l'oeil n'est plus de mise. Oui aux yachts, mais pas forcément aux plus rutilants. Regardez la tendance ; elle favorise les modèles écologiquement corrects. Les frasques et les scandales des Bleus à la Coupe du monde de foot sont un parfait exemple de ce qui est rejeté en bloc. Il y a cinq ans, personne n'aurait porté crédit à leurs extravagances, aujourd'hui, elles sont choquantes. Jusqu'où la croissance chinoise dans le luxe va-t-elle influencer le secteur de la mode ?La Chine est un pays neuf pour la mode. C'est une contrée affamée de luxe ; tout ce qui conforte la réussite sociale, marque le statut, y est plebiscité. Ils sont sensibles à nos vieilles recettes ; les marques se précipitent, elles font du chiffre. Pour l'heure, les Chinois ne sont pas blasés. Mais attention, c'est un pays qui apprend vite. La Chine possède une tradition millénaire de vrai luxe, avec un savoir-faire artisanal extraordinaire (songez à la porcelaine, à la soie, à la sculpture du jade). Demain, sans avoir besoin de s'associer à une quelconque marque occidentale, ils développeront leur propre gamme de luxe, en conformité avec leur savoir-faire ancestral. Comment les managers, les dirigeants mais aussi les designers que vous conseillez ou côtoyez abordent-ils cette nouvelle ère ?L'année dernière, ils ne pensaient qu'à préserver leurs acquis, ouvrir les parapluies, licencier le moins possible. Cette année, ils commencent à regarder un peu plus loin. Au second semestre, chacun en est conscient, que ce soit du côté des dirigeants ou des designers, le turnover sera important. Une nouvelle génération arrive aux postes des commandes. Ces jeunes sont très matures, ils ont grandi à l'ombre de leurs aînés, qu'ils ont vu évoluer pour nombre d'entre eux, seuls et accrochés à leur boulot, sans autre forme d'épanouissement personnel. Ce n'est pas une génération qui a plus de talent que la précédente mais ils n'ont pas les mêmes priorités, ils ne veulent pas reproduire les mêmes erreurs.Propos recueillis par Isabelle Lefort
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