Libre-échange : le précédent de 1860

Le 15 janvier 1860, Le Moniteur, journal officiel de l\'Empire français, publie une lettre de Napoléon III à son ministre d\'État, le banquier Eugène Fould. « Depuis longtemps, écrit l\'empereur, on proclame cette vérité qu\'il faut multiplier les moyens d\'échanges pour rendre le commerce florissant ; que sans concurrence l\'industrie reste stationnaire et conserve des prix qui s\'opposent aux progrès de la consommation. » Ce manifeste libre-échangiste annonce un changement radical de politique commerciale de la France.Quelques jours plus tard, un traité de commerce est signé entre la France et le Royaume-Uni, les deux premières puissances économiques d\'alors, par Michel Chevalier, ancien saint-simonien et Richard Cobden, qui, en 1846, après quinze ans de luttes, était parvenu à obtenir la suppression unilatérale des droits anglais sur le blé, les fameuses « corn laws ».Pour eux, la levée des droits est aussi un enjeu social et politique. Le 19 janvier, dans Le Journal des débats, Michel Chevalier assure que la « majeure part des bienfaits » du traité ira « aux ouvriers ». Plus loin, il promet que le « rapprochement commercial contrebalancera, s\'il ne les efface pas, les haines politiques ».En attendant, ce traité fait l\'effet d\'une bombe dans une France encore très favorable au protectionnisme. Certes, il ne prévoit pas une ouverture pure et simple des frontières, mais la fin des prohibitions, une suppression des droits sur les matières premières et une réduction sensible des droits de douane. C\'en est pourtant déjà trop pour les manufacturiers français qui crient au « coup d\'État douanier ». Dès le 18 janvier, on signale « une certaine agitation manifestée dans les centres industriels ». Le Times, qui se félicite de la nouvelle politique française, se demande du reste « combien il aurait fallu de temps en France pour arriver à de telles réformes par le seul mouvement de l\'opinion ».Quand l\'histoire contredit le rêveCe traité de 1860 est le point de départ d\'une grande vague de libéralisation grâce à une clause de « nation la mieux favorisée », qui permet l\'élargissement du traité à des pays tiers. En 1862, par exemple, l\'union douanière allemande, rejoint le traité. Le mouvement de libéralisation se poursuivra jusqu\'en 1879 où, échaudée par la crise qui a débuté en 1873 et la concurrence féroce des très protectionnistes États-Unis, l\'Allemagne décide de relever ses droits de douane. Le mouvement s\'inverse et bientôt Londres reste à nouveau le seul apôtre du libre-échange.Le bilan du traité de 1860 est cependant très mitigé. Les études récentes montrent que le commerce européen en général a fléchi après sa signature, même si certains domaines comme les matières premières ont progressé. En France, le libre-échange n\'a pas éteint le paupérisme, la colère de la Commune le montrera en 1871. Il n\'a pas apporté la paix, puisque le traité avec la Prusse n\'empêchera pas la guerre de 1870. Enfin, il n\'a permis qu\'un essor mesuré de l\'économie française qui, à la fin du siècle, se fera dépasser largement par les États-Unis et l\'Allemagne, deux pays protectionnistes. Les rêves de Michel Chevalier et Napoléon III ne se sont pas réalisés. 
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