Ces narco-juniors qui font trembler le Mexique

Les bottes de cowboy, l'arme à la ceinture et les énormes camionnettes 4X4, c'est fini. L'image d'Épinal du narcotrafiquant mexicain, moustachu et roi de la gâchette, a vécu. Les nouveaux mafieux s'habillent en costumes Versace ou Armani, vont à l'université, vivent discrètement au Mexique mais mènent grand train à l'étranger. Relève générationnelle oblige, les descendants des grands barons de la drogue prennent désormais les rênes des cartels. Ces trentenaires éduqués sont à la tête d'un marché évalué à plus de 40 milliards de dollars par an. Pas question pour eux de mouiller la chemise, de se tâcher les mains de sang, d'étaler leur fortune et de vivre dans de gigantesques haciendas loin des villes, comme leurs parents. Baptisés « narco-juniors », ces urbains branchés se consacrent au blanchiment d'argent, en jonglant avec les méandres des circuits financiers mondiaux. Sous la coupe des nouveaux cols blancs du trafic de stupéfiants, les cartels se transforment en entreprises globales. « Héritiers », mi-golden boys mi-jet-setteurs, ils n'en sont pas moins ultra-violents. Malgré l'offensive menée par le gouvernement, la guerre qui les oppose pour le contrôle du marché met le Mexique à feu et à sang.Élégant et cultivé, Vicente Carrillo Leyva, 33 ans, est devenu l'emblème de cette nouvelle génération de gangsters. Celui qu'on appelle « El Ingeniero » (l'ingénieur) a été arrêté en mai dernier alors qu'il faisait son jogging dans le parc d'un quartier chic de Mexico. La tête de ce jeune narcotrafiquant était mise à prix 2 millions de dollars. Son père n'est autre qu'Amado Carrillo Fuentes, baptisé « El señor de los cielos » (le seigneur des ciels). Ce dernier a créé le cartel de Juarez, l'une des sept organisations les plus puissantes du Mexique. Le patriarche doit son surnom aux virées aériennes qu'il faisait pour livrer la drogue aux États-Unis. Sa mort, le 4 juillet 1997 lors d'une opération de chirurgie esthétique, destinée à changer son visage, reste un mystère. Depuis, son fils a pris du galon au sein du cartel, sous la tutelle de son oncle, Vicente Carillo Fuentes, dit « El Viceroy » (le vice-roi). Après des études dans des universités privées au Mexique, en Suisse et en Espagne, Vicente Junior se chargeait de placer à travers le monde l'argent de la drogue par l'intermédiaire de sociétés écrans. En 1998, José Reveles, journaliste du quotidien, « El financiero », révélait son arrestation par la police française qui avait repéré un jeune mexicain flambant des milliers de dollars en restaurants et voitures de luxe. Faute de preuve, « El Ingeniero » aurait été libéré 48 heures après. Onze ans plus tard, les autorités mexicaines ont finalement mis la main sur ce fin stratège, qui vivait sous un faux nom dans une discrète villa de la capitale mexicaine.Autre figure des « narco-juniors » : Vicente Zambada Niebla, dit « El Vicentillo », fils d'Ismaël « El Mayo » Zambada, l'un des anciens dirigeants de la fédération mafieuse de Sinaloa. Arrêté lui aussi dans un luxueux quartier de Mexico, le 18 mars dernier, il arborait une tenue chic et décontractée avec sa chemise à rayures fines et sa veste sur mesure. Ce trentenaire aux allures de playboy codirigeait une organisation gigantesque comprenant chimistes, passeurs, financiers de pointe et tueurs sanguinaires.Comme ces deux « narco-juniors », les fils, neveux ou filleuls des créateurs des grands cartels mexicains sont mieux préparés que leurs aînés. « Leurs parents leur ont permis de faire des études dans les meilleures écoles privées du monde. L'économie de marché, les flux financiers, les paradis fiscaux ou les processus de production et de distribution à grande échelle n'ont pas de secret pour eux », souligne Igor Israël Gonzalez, professeur de sciences sociales à l'université de Guadalajara. Ces « fils de » ont passé leur enfance entre les zones résidentielles mexicaines et américaines, entourés de servantes et de gardes du corps. Une étude neuropsychologique menée en 2009 par la préfecture générale de la République (PGR) précise que les « narco-juniors » sont « des individus narcissiques, égocentriques, misogynes, prétentieux, mythomanes, séducteurs et non conformistes ». Ils vivent aujourd'hui dans d'élégantes résidences à Mexico, fréquentent la jet-set internationale mais conduisent autant une Jaguar qu'une camionnette Lincoln Avalanche. « Loin de l'univers ostentatoire et pittoresque de leurs parents, ils font profil bas pour ne pas attirer l'attention des autorités. Ils aspirent aussi à une certaine respectabilité en affichant une image de chef d'entreprise », observe l'ethnologue Miguel Olmos.Ces nouvelles têtes bien faites changent le modus operandi des cartels. « Ils incarnent la division des tâches au sein d'organisations criminelles plus matures. Avant, les barons étaient omniprésents dans l'organisation, certains transportaient eux-mêmes la cocaïne jusqu'aux États-Unis. Aujourd'hui, les nouveaux cols blancs n'ont plus aucun contact avec les producteurs ou les tueurs de leur cartel », explique José Manuel Valenzuela, sociologue au Collège de la frontière Nord. Ces hommes d'affaires investissent légalement l'argent de la drogue avec une forte capacité de corruption de l'appareil d'État. « 78 % de l'économie mexicaine est infiltrée par les narcos, qui contrôlent plus d'une municipalité sur deux. Le Mexique est un pays féodal, où les parrains ont tous les pouvoirs locaux », analyse Edgardo Buscaglia, spécialiste du crime organisé à l'Institut technologique autonome de Mexico.Acquise à l'économie de marché dans un monde globalisé, cette nouvelle génération part aussi à la conquête de la planète. « Les sept principaux cartels du Mexique sont présents dans 38 pays. Les États-Unis représentent le plus gros marché, devant l'Europe », assure Edgardo Buscaglia. Chaque année, la vente de drogue rapporterait 25 à 40 millions de dollars, selon les estimations. « Bien davantage si on inclut l'émigration clandestine, les enlèvements, les jeux d'argent ou la prostitution », précise-t-il.Financiers de haut vol, les « narco-juniors » semblent pourtant plus violents que leurs parents. « Ils sont bien élevés mais affichent un manque d'éthique flagrant. Auparavant, les groupes rivaux ne touchaient pas aux familles de leurs ennemis. Aujourd'hui, ils n'hésitent plus », observe Luis Astorga, professeur à l'Université autonome du Mexique (Unam). Le 9 mai 2008, Edgar Guzman, 22 ans, fils du parrain le plus recherché du pays, Joaquin « El Chapo » Guzman, a été assassiné dans un centre commercial de Culiacan, la capitale de l'État de Sinaloa. Il fut l'une des victimes les plus emblématiques de la guerre que se livrent les cartels pour le contrôle des routes de la drogue vers les États-Unis. Un combat sans pitié amplifié par l'offensive frontale du président mexicain Felipe Calderon, contre le narcotrafic. Plus de 5.600 crimes depuis janvier, contre moins de 3.000 en 2008. « Sanguinaires, les nouveaux barons de la drogue sont aussi plus difficiles à arrêter car ils gèrent le business par le biais d'intermédiaires, passeurs ou tueurs. Pas facile dans ces conditions de les prendre en flagrant délit », déplore le sociologue José Manuel Valenzuela. Malgré des dizaines de milliers de militaires et de policiers mobilisés, les cartels mexicains semblent en effet ne pas fléchir. Telles les têtes de l'Hydre de Lerne, les « narco-juniors » arrêtés ou tués sont vite remplacés. n « Les nouveaux cols blancs n'ont plus aucun contact avec les producteurs ou les tueurs de leur cartel. »
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