Et Mitterrand laissa le renard s'échapper...

« Il voulait changer la vie et il a changé d'avis ». Cette formule lapidaire d'un électeur de gauche résume la désillusion qui régnait en 1995, après quatorze années de présidence Mitterrand. Mais lorsqu'ils dressent le bilan ou pratiquent le droit d'inventaire cher au coeur de Lionel Jospin, les Français ont désormais un jugement plutôt positif sur le premier - et jusqu'ici unique - président socialiste de la Ve République.Un premier sondage réalisé par Ipsos en janvier 1996, juste après la mort de François Mitterrand, indiquait que les Français lui savaient gré de l'abolition de la peine de mort et de l'allongement des congés payés, l'Europe, les grands travaux et la retraite à 60 ans étant mentionnés juste après. En 2005, un sondage BVA reflétait une appréciation plus positive encore, comme si l'éloignement des polémiques qui avaient marqué le second septennat favorisait une lecture plus globale. Étaient là aussi cités en premier la suppression de la peine de mort et les acquis sociaux (cinquième semaine de congés payés, retraite à 60 ans, réduction du temps de travail de 40 à 39 heures, création du RMI).Du candidat de 1981 interdisant l'appartenance au Parti socialiste à celui qui n'acceptait pas « la rupture avec la société capitaliste » au président de « la France unie » de 1988, qui signait définitivement la conversion de la gauche à l'économie de marché, la route a été longue et sinueuse, dans un pays en proie aux premières convulsions de la mondialisation et dans une Europe en plein bouleversement idéologique.Pour l'ex-premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, François Mitterrand aura réussi, malgré la désindustrialisation et la montée du chômage, « à remettre l'économie sur des bases productives et à restaurer la compétitivité ». « Souvent les profanes sont meilleurs que les spécialistes. On a souvent fait reproche à François Mitterrand de n'être pas un expert en économie, ni un connaisseur des marchés financiers, des mouvements des monnaies ou des dépenses publiques. Mais il a démontré qu'il savait faire des choix (...) Il avait le pragmatisme de ceux qui n'ont pas de doctrine », estime le député de Corrèze, pour qui les « deux choix majeurs » du président défunt auront été « la construction monétaire européenne » et « l'ajustement budgétaire de 1983 ».Le « tournant de la rigueur » reste très prégnant dans la mémoire collective. Avec la troisième dévaluation du franc en trois ans, pour réduire le déficit commercial. Sans oublier l'augmentation des impôts et des tarifs des services publics et la mise en place d'un contrôle des changes très strict. Ainsi que l'ouverture d'un processus de privatisations après les nationalisations de « l'état de grâce » de 1981.À partir de 1984, la France quitte en fait un fonctionnement économique très étatisé pour entrer dans une économie sociale de marché. Le prix politique en sera lourd : en 1986, les législatives donnent la victoire à la droite et le leader du RPR, Jacques Chirac, s'installe à Matignon pour la première cohabitation. Et le Front national d'extrême droite fait son entrée à l'Assemblée nationale, à la faveur de la proportionnelle, s'installant durablement dans le paysage politique français.Sacré meilleur monétariste du monde par le « Financial Times », François Mitterrand aura aussi mené la désinflation à marche forcée mais il faut se souvenir que la hausse des prix avait atteint 14 % en 1980 !Jusqu'à la fin du second septennat, François Mitterrand aura eu à gérer une ambiguïté - une de plus dans son parcours politique. Le verbe haut contre le libéralisme, « renard libre dans le poulailler libre », et contre ceux qui « s'enrichissent en dormant », le chef de l'État s'avère impuissant face au détricotage rapide du tissu industriel français. Le naufrage de la sidérurgie reste l'emblème noir de cette époque. Entre 1981 et 1988, plus de 500.000 emplois ont été détruits dans l'industrie.C'est donc sur le front de l'emploi que François Mitterrand a subi son échec le plus retentissant. Un échec auquel il semblait s'être résigné. « Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé ! » lâchait-il le 14 juillet 1993, après la débâcle de la gauche aux législatives et le suicide de Pierre Bérégovoy. « Il y avait là de la lassitude à la fin d'un parcours politique », modère François Hollande. Le cap des deux millions de chômeurs avait été franchi dès la fin de 1981 et celui des trois millions dès le début 1993. Il faudra attendre le retour de la gauche au pouvoir, en 1997, pour voir Lionel Jospin mettre en oeuvre de nouveaux outils (35 heures et emplois- jeunes).drL'analyse
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