Réflexions à propos de l'évasion de capitaux

Au cours des quatre dernières décennies, les raisons qui avaient pu motiver les transferts de capitaux furent nombreuses et n'avaient pas systématiquement l'objectif de fraude fiscale. Ce reproche, certes le plus fréquent, a souvent masqué d'autres réalités, notamment l'attrait vers des pays à stabilité politique, économique et monétaire pouvant mieux protéger l'épargne acquise par le travail. Quand la France a capitulé en 1940, est-il venu à l'idée de désapprouver les personnes qui quittaient le pays ? Non. Elles s'étaient mises à l'abri du danger. En 1981, sans être du même ordre, le danger se percevait d'une autre façon. Dans le contexte de guerre froide, entre l'Occident et le bloc de l'Est, la gauche française arrivait au pouvoir avec, au sein de son gouvernement, des ministres communistes. Avec un programme commun aussitôt appliqué : impôt sur la fortune, nationalisation de pans entiers de secteurs économiques, en quelque sorte le début d'un processus de gestion administrative. Sans connaître l'issue de cette expérience, certaines personnes aisées se sont expatriées et d'autres, plus nombreuses mais moins fortunées, auraient effectué le transfert de leurs avoirs à l'abri d'un régime qui leur paraissait hostile, comme on protège femmes et enfants. La France d'alors s'affaiblissait et sa monnaie se dévaluait régulièrement. Au moins 75 % des comptes français existants à l'étranger auraient été créés à cette époque.Trente ans plus tard, après la chute du mur de Berlin, la fin de l'URSS et avec la stabilité qu'offre la monnaie unique, tous les ingrédients sont réunis pour retrouver la confiance. Nombreux sont ceux qui auraient probablement rapatrié depuis longtemps leurs avoirs si la menace de sanctions ne les en avait dissuadés. On pouvait revenir des États-Unis ou de Grande-Bretagne en 1945 sans crainte de représailles, car la liberté avait triomphé. Quel gouvernement de droite a offert cette possibilité de détente économique et sociale aux possesseurs de capitaux qui furent à un moment inquiets de l'idéologie marxiste ? Maintes fois de retour aux affaires, la droite n'osa jamais prendre les mesures d'apaisement pour créer les conditions du dégel. Jacques Chirac l'avait tenté en 1986, mais la cohabitation n'inspira pas confiance. En revanche, de réels espoirs avaient été perçus dans le langage de la campagne de Nicolas Sarkozy, mais en vain.Peut-on reprocher aux gens aisés d'utiliser les services de cabinets spécialisés pour alléger la facture de leurs impôts ? Non. Ils contournent allègrement les articles du code, utilisent les niches fiscales et exploitent toutes leurs astuces. L'arrière-pensée n'est pas très vertueuse, mais la loi est respectée. En 1990, sous le second septennat de Mitterrand, les avancées de l'unification européenne ont conduit la France à lever le contrôle des changes. En clair, tout Français peut ouvrir des comptes à l'étranger et y transférer des sommes. Mais il est tenu de déclarer en France l'intégralité de sa fortune et de ses revenus. Si l'infraction aux changes est supprimée, l'infraction fiscale demeure. On ouvre les frontières, on autorise les transferts et on exige une honnêteté sans faille tandis qu'est conservée la même pression fiscale héritée du programme de 1981. Les détenteurs de capitaux expatriés fondaient, à cette époque, leurs espoirs dans un changement de majorité. Mais ni Balladur en 1993 ni Chirac en 1995 et 2002 ne leur tendirent la main. Ainsi, cette population délaissée se serait adaptée, tant bien que mal, à utiliser les pays politiquement stables, libéraux et aux juridictions particulières puis, tant qu'à faire aussi, aux fiscalités allégées. L'immense majorité de cette population ne paraissait pas essentiellement fraudeuse au départ, elle était surtout craintive. N'aurait-elle pas, en quelque sorte, procédé comme l'avait fait avant elle, en d'autres temps, le Français lambda qui enfouissait ses pièces et lingots d'or dans les lessiveuses ? Finalement, il semble extrêmement regrettable que la période de signatures de nouvelles conventions avec les paradis fiscaux à l'automne 2009 n'ait pas été utilisée pour offrir simultanément, sous forme de grâce amnistiante, l'opportunité du retour. Cette initiative aurait été dans la grande tradition gaulliste qui, après des périodes d'instabilité et de danger idéologique, aurait réconcilié la nation, comme le Général le fit en d'autres circonstances ? La période de crise actuelle en France avec son fort endettement aurait nécessité, pour une fois, de s'affranchir d'une certaine forme d'immoralité qui n'en a eu, en réalité, que l'apparence. npoint de vue Joseph BENKEMOUN Ancien dirigeant de banque
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