Espagne contre Gibraltar, un bras de fer perdu d'avance pour Madrid

\"Une querelle de routine avec un enjeu minime\". Ainsi le conflit entre Gibraltar et l\'Espagne avait-il été qualifié par le politologue spécialiste de l\'Espagne Guy Hermet en 1968. Mais une querelle qui dure depuis 1713, année de la signature de l\'accord d\'Utrecht qui a gravé dans le marbre la propriété du Royaume-Uni sur le Rocher. Après un calme relatif qui dure depuis près de trois décennies, la tension est montée d\'un cran ces dix derniers jours.La fiscalité au cœur de toutDimanche, le gouvernement espagnol a, par la voix du ministre des Affaires étrangères José Manuel Garcia-Margallo, en effet menacé d\'imposer une taxe de 50 euros à l\'entrée et à la sortie de l\'enclave britannique via la frontière qui sépare les deux pays, afin selon lui de financer une aide aux pêcheurs espagnols. En cause, la fabrication d\'un récif artificiel commencée il y a dix jours par Gibraltar afin, selon le gouvernement local, de renforcer les ressources halieutiques qui entourent la péninsule. Coté espagnol, on affirme que ce récif détruira les fonds marins et empêchera les pêcheurs espagnols des alentours d\'y accéder. Or, un accord passé en 1999 entre les deux pays permet à ces derniers de pêcher dans cette zone commune faute d\'entente sur l\'étendue des eaux territoriales de Gibraltar.En réalité, loin des enjeux diplomatiques d\'antan, lorsque Gibraltar représentait un avantage stratégique et militaire notable pour le Royaume-Uni, depuis quelques décennies, l\'enjeu est principalement fiscal pour l\'Espagne. Elle s\'agace en effet d\'y voir un niveau d\'imposition sur les sociétés très faible et une TVA quasi inexistante. Bien que le petit pays s\'en défende, il se trouve bien sur la liste des paradis fiscaux établie par l\'OCDE.Les dernières tensions remontent à juin, lors de la publication du rapport sur les pratiques fiscales déloyales. Madrid souhaitait un examen approfondi du dispositif d\'imposition sur les sociétés du pays. Car en période de disette budgétaire, récupérer la manne issue des sociétés espagnoles enregistrées à Gibraltar, nombreuses selon des sources à la Commission, ne ferait pas de mal aux finances publiques du pays.L\'Espagne n\'a aucune carte en main et pourrait ne pas en sortir indemneLe problème, c\'est que la menace espagnole n\'a que très peu de chance d\'aboutir. Le Royaume-Uni, qui selon le Financial Times envisagerait d\'intervenir auprès des instances européennes, a en effet le droit avec lui. Certes, lors de l\'adhésion de l\'Espagne à l\'Union européenne en 1985, Madrid avait obtenu de Londres la poursuite des discussions sur le transfert de souveraineté de Gibraltar en échange d\'une réouverture de la frontière fermée depuis 1966 par Franco. Certes, le Rocher fait toujours partie de la liste de l\'ONU des pays à décoloniser. Et certes, le Royaume-Uni n\'est pas membre de l\'Union douanière mise en place par la convention de Schengen.Mais, rappelle un fonctionnaire de Bruxelles, Gibraltar, en tant que territoire du Royaume-Uni, fait partie de l\'Union européenne, et la liberté de circulation des personnes et des marchandises, qui interdisent toute taxe à la frontière, sont des libertés fondamentales défendues par les traités. Ce que n\'interdisent pas les textes, ce sont les contrôles à la frontière, que l\'Espagne pratique déjà entre Gibraltar et La Linea de la Concepcion, la ville limitrophe. De manière abusive, d\'ailleurs, selon le gouvernement du Rocher qui envisage dors et déjà de déposer une plainte à Bruxelles à ce sujet.Et sur ce plan, bien qu\'il soit encore tôt pour le dire, l\'Espagne pourrait même subir une condamnation européenne sans même avoir mis en place sa taxe douanière. \"La France et le Royaume-Uni ont déjà été condamnés pour des contrôles trop stricts sur le sujet de l\'alcool et des cigarettes. Cela est déjà arrivé,\" explique-t-on à la Commission.Opportunisme politiqueSur fond de tensions historiques, cette polémique est quoiqu\'il en soit une belle opération de communication pour le parti populaire espagnol, et le chef du gouvernement Mariano Rajoy. Ce dernier est en effet empêtré dans une affaire de corruption qui date l\'époque où il était à la tête du parti conservateur. D\'abord terré dans un silence de plomb après avoir été cité dans l\'affaire, Mariano Rajoy s\'est lancé dans une opération rachat auprès de l\'opinion publique. Par ailleurs, José Manuel Garcia-Margallo, diplômé en fiscalité internationale à Harvard et qui s\'occupe de questions de fiscalité en tant qu\'élu européen sait-il sans doute que sa menace n\'a aucune chance d\'aboutir sans provoquer la réaction immédiate de Bruxelles.Si elle peut permettre au gouvernement de grappiller quelques points dans les sondages, cette opération n\'est pas du goût des Espagnols qui habitent aux alentours du Rocher. Pour les habitants de la Linea de la Concepcion, les deux parties ont tort. Lors d\'une réunion locale, les pêcheurs, hommes d\'affaires et autres commerçants présents, ont formulé une pétition pour demander tant à Gibraltar de stopper ses travaux de construction du récif artificiel qu\'à Madrid de cesser de vouloir freiner la circulation entre les deux pays. Ils ont même invité le ministre des Affaires étrangères à se rendre sur place pour se rendre compte de la réalité que vivent les citoyens près du Rocher. Bref, les locaux, eux, ne veulent que le statu quo.
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