Confidences de banquiers systémiques

Ça le met hors de lui qu'on puisse douter de ce qu'il dit. Et dans ces moments-là, Baudouin Prot peut s'oublier un peu. Le qualificatif fuse alors, implacable : « Touriste ! » Ceux qui pensent que les banques françaises exagèrent la menace qui pèse sur le financement de l' économie à l'occasion du G20 sont des « touristes », nos enfants diraient des « Mickeys » !« C'est le match retour de Bâle III, et ne vous trompez pas, les Américains n'ont pas renoncé à nous faire payer leur crise. S'ils parviennent à durcir les règles entourant l'octroi de crédit, c'est le financement des entreprises françaises qui est en péril. » C'est quand on lui fait remarquer qu'il nous avait déjà joué cette grande scène tragique il y a quelques mois que l'on se trouve ramené à la condition de « touriste », « les Américains peuvent nous forcer à aller chercher des dizaines de milliards d'euros sur les marchés, c'est autant d'argent qui n'ira pas financer l'économie ». « Foutaises », répondent les banquiers américains en France (hé oui, dans cette histoire tout le monde perd assez vite son calme) : « Qu'ils regardent de plus près leur politique de rémunération, et les banquiers français trouveront facilement de quoi s'adapter. » Parce que la détermination américaine est claire, et vous l'entendrez cette semaine, toutes les banques « systémiques » (en gros les vingt plus grandes) devront pouvoir se passer de la garantie des États en toute circonstance. C'est dans ce cadre qu'ils jugent la réglementation actuelle insuffisante. Juste un mot pour finir, cette définition que me donnait un banquier d'une banque systémique : « C'est comme la pornographie, c'est difficile à définir, mais quand vous êtes devant, vous n'avez aucun doute. » Il paraît qu'en ce moment ça fait rire les banquiers.L'autre gros foyer de tensions, en ce moment, c'est le monde du ferroviaire. On est en bas de cycle pour l'industrie du secteur, les commandes sont rares, elles se jouent au couteau, et les rumeurs volent bas. La photo du Shanghai Express, le TGV chinois aux airs de fusée, à la une du « Financial Times », fait par exemple réagir les ingénieurs du secteur réunis à l'occasion d'un grand colloque, la semaine dernière, à Bercy. Ils me racontent qu'au début de l'aventure les Chinois achetaient tout ce qui sortait des usines françaises, allemandes ou japonaises, « à l'époque on se demandait à quoi ça servait, chacun de ces mondes était fermé, on ne peut pas marier les technologies. Aujourd'hui on sait qu'ils démontaient, analysaient, apprenaient, et qu'ils ont su prendre le meilleur pour bâtir leur système. Je ne suis pas sûr, conclut l'un d'entre eux, que les ingénieurs d'Alstom passent des heures à démonter du Siemens. » Et pourtant, même les Chinois peuvent commettre de grosses erreurs. C'est visiblement ce qui s'est passé sur le plus gros contrat du moment, le TGV des lieux saints, en Arabie Saoudite. « Les Chinois n'ont pas proposé assez cher ! » me dit un responsable de la négociation pour la SNCF, « ils n'ont pas saisi qu'avec les Saoudiens le prix n'était pas forcément le critère le plus pertinent. Au contraire, ils ont fait une offre tellement basse qu'ils ont effrayé le client, ils ont été irrévocablement sortis du marché ». Employons les grands mots : dans sa guerre de conquête, l'empire du Milieu s'attaque au monde développé, il est en train d'en apprendre les règles.Quelqu'un pourrait-il expliquer à Philippe Marini que la bataille que mène en ce moment « le lobby de l'innovation » (sic) est la seule bataille qui vaille la peine d'être menée. Comment lui expliquer que, en termes de promesse d'avenir, mieux vaut gratter 500 millions sur l'outre-mer, les monuments historiques, l'immobilier, les forêts, mais pas sur le crédit d'impôt recherche, les FCPI, le statut de jeune entreprise innovante, le capital-risque. « Il y a des effets d'aubaine », dit le sénateur. Mais l'aubaine, M. Marini, c'est que des entrepreneurs prennent encore des risques dans ce pays. Ne leur coupez pas les jarrets !Par Stéphane SoumierAnimateur de « Good Morning Business » sur BFM Radio
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.