La « longue marche » de l'Europe

Difficile d'échapper à la Chine : pas un quotidien, pas un magazine, pas une émission de télé ou de radio qui n'en parle. La deuxième économie mondiale est à coup sûr devenue le premier sujet médiatique. Elle est le nouveau « Nouveau Monde » et partage avec le précédent, les États-Unis, une caractéristique : un potentiel gigantesque et inquiétant. Bref, elle fascine. Sur elle se projettent tous les fantasmes, et d'ailleurs, jusqu'au XIXe siècle, fasciner signifiait « troubler, égarer par sorcellerie » : comment mieux décrire l'état de confusion et le sentiment de déclassement que produit sur nous la nouvelle star mondiale ? Illustration : depuis juin, circule sur le Web une vidéo dans laquelle un prétendu professeur d'économie chinois ironise sur le déclin de la France. Son succès a été fulgurant : plus de 800.000 accès. Faux document, mais vrai miroir de nos doutes et de nos peurs.Cette obsession chinoise a quelque chose de morbide. Tout ce que nous sommes s'y dissout : oubliés notre niveau d'équipement, notre éducation, notre système de santé, notre démocratie... Nous serions menacés par un irrésistible déclin, comme jadis l'Empire romain. Nous voilà tétanisés, complexés, tentés par le repli, bref, c'est la grande dépression collective. Pourtant, avec 2 % de croissance, le revenu moyen par habitant en Europe de l'Ouest augmente encore deux fois plus vite que celui d'un Chinois avec 10 % !Soyons francs, tout n'est pas rose : ici le chômage sévit, la dette croît, nous vieillissons et la compétition est rude. Nous avons vécu dans une relative facilité, et la classe politique a choisi, telle une mère infantilisante, d'entretenir à coup d'endettement et de messages lénifiants ? chimérique ligne Maginot ? l'illusion que c'était définitivement acquis. Non, il n'y a pas de droit immanent au bonheur, mais sommes-nous pour autant dépourvus de ressource ?L'irruption des pays émergents devrait nous inciter à un colossal sursaut collectif pour améliorer notre compétitivité, rendre plus efficace notre éducation et notre recherche, développer nos entreprises, renforcer notre démocratie. Et puis, il y a l'Europe, magnifique projet né du grand désastre de 39-45, cette Union qui a su accueillir promptement les pays d'Europe de l'Est à la chute de l'URSS : rien ne nous empêche d'en faire un nouveau phare mondial, si nous dépassons nos dérisoires guerres picrocholines (n'est-ce pas, M. le ministre de l'Industrie ?). Souvenez-vous, la « vieille Europe » moquée par Dick Cheney quand elle s'opposait à l'invasion de l'Irak prédisant... le désastre qui s'est produit. Avait-elle tort ? Ses valeurs étaient-elles si racornies ? Non, mais divisées, en effet, nous ne pesons rien. L'Europe a besoin d'un nouveau souffle qui ne se limite pas à des mesures techniques. Il faut aux citoyens européens des symboles forts, de ceux qui créent, anthropologiquement, un sentiment d'adhésion. Mutualisons notre défense, triplons le budget de l'Union (seulement 1 % du PIB aujourd'hui), fondons des universités et des centres de recherche vraiment européens. Les États-Unis se sont construits autour de la conscience de leur puissance, militaire et technologique. L'Europe doit retrouver et refonder ce qui fait sa force : son histoire, sa production intellectuelle, son industrie, ses institutions et sa monnaie. Et elle doit devenir confédérale. « Être inerte, c'est être battu », disait le général de Gaulle, qui fut, en 1964, l'un des premiers chefs d'État à reconnaître la République populaire de Chine. Le grand Charles, dont c'est aujourd'hui le quarantième anniversaire de la disparition, devrait toujours nous inspirer : ce n'est pas par la peur que l'on avance, mais en regardant la réalité en face et en faisant oeuvre de courage et d'exemplarité. Exemplarité... vous voyez ce que je veux dire ?ParOlivier LecomteProfesseur de finances à Centrale Paris
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.