Les déodorants, nouvelle arme stratégique

Parfumer les aisselles des Polonais, des Indiens ou des Brésiliennes... Tel est le nouveau rêve de tous les géants de la grande consommation. Longtemps délaissé en raison de ses marges relativement faibles par rapport aux produits de rasage ou de soin de la peau, le déodorant connaît avec la crise un regain d'intérêt inespéré chez Unilever, L'Oréalcute;al, Procter & Gamble et autres. « Nous avions un peu délaissé cette catégorie depuis dix ans mais nous infléchissons notre stratégie », avoue, à « La Tribune », le PDG de L'Oréalcute;al, Jean-Paul Agon. Comme son confrère et concurrent, Robert McDonald chez Procter & Gamble, qui souhaite passer de quatre à cinq milliards de consommateurs potentiels d'ici à 2015, l'héritier de Lindsay Owen-Jones à la tête du leader mondial des cosmétiques veut marquer son sillon en doublant sa base de fidèles acheteurs pour en compter deux milliards d'ici dix ans. « Nous avions bâti notre stratégie sur une pénétration intensive de nos produits sur un petit nombre de consommateurs. Nous passons désormais à une pénétration extensive à des millions de nouvelles personnes », continue-t-il. Or, quoi de mieux que le déodorant, produit accessible en prix, pour aller chercher ces nouveaux volumes ! « Une classe moyenne grandit dans le monde entier et voit ce produit comme un emblème de son nouveau statut. C'est aussi un marché dans lequel chaque innovation entraîne une réaction rapide du consommateur », se réjouit le président de Beiersdorf France, René Van Duijnhoven.Pour séduire ces nouveaux consommateurs tout en rendant l'affaire rentable, les grands groupes n'hésitent plus à globaliser leurs lancements, optimisant leurs investissements en développant partout ce qui marche quelque part. Les déodorants Garnier ont ainsi été testés en Amérique latine en 2008, puis ont prouvé leurs succès une deuxième fois en Europe de l'Est en 2009, avant d'être adaptés, ou simplement traduits, pour les pays d'Europe de l'Ouest, où ils sont déployés massivement en ce début d'année. Idem chez Procter, qui avait testé sa technologie « thermo-réactive » sur les marques américaines Secret et Old Spice, avant de l'utiliser dans ses déodorants Gillette Series, lancés actuellement en Europe. À chaque fois, le principe est simple. Les groupes choisissent une de leurs marques fortes, même si celle-ci n'a jamais vendu de déodorants, pour l'étendre à cette nouvelle catégorie. Ils débauchent ainsi de nouveaux consommateurs à moindres frais. « Garnier est notre cheval de Troie de la conquête internationale », reconnaît-on chez L'Oréalcute;al.Du coup, jamais la concurrence ne s'est autant accélérée qu'en 2009. Pendant longtemps, Unilever faisait figure de solide monarque, s'octroyant à lui seul 31 % des 12 milliards d'euros du marché en 2008, grâce notamment à ses marques Rexona, Axe ou encore Dove. Désormais, il est attaqué de toutes parts par ses challengers, dont Procter (9,8 % de part de marché selon Euromonitor), Beiersdorf-Nivea (8,4 %) ou encore Colgate-Palmolive (5,1 %) et Henkel (4,9 %). « Le déodorant est une des priorités définies par le PDG Paul Paulman, nous allons nous battre sur tous les terrains », explique François-Xavier Apostolo, directeur marketing de la division entretien personnel d'Unilever France.La première riposte du géant anglo-néerlandais a été de mettre la main sur les déodorants de Sara Lee en septembre dernier. Le groupe peut désormais utiliser la signature Sanex, plus abordable que Axe ou Rexona, pour conquérir les pays émergents, où la marque ne réalise encore que 15 % de ses ventes. « Unilever renforce ainsi sa taille dans la catégorie, en prenant 2 % de part de marché supplémentaire pour devenir une tour imprenable », commente Oru Mohiuddin, analyste chez Euromonitor.Cette bataille ne concerne pas seulement les pays émergents. Car même dans les pays occidentaux, il existe encore une cible peu « pénétrée », selon le jargon des responsables marketing : celle des hommes. Un simple focus sur le marché français permet de se rendre compte de l'intérêt de s'y intéresser. Alors que presque toutes les femmes utilisent un déodorant régulièrement, les hommes ne sont que 60 % à faire de même dans l'Hexagone. Résultat, le marché de 443 millions d'euros, qui progresse de 1 % en 2009, recule de 1 % pour les femmes et grimpe de 4 % pour les hommes. « C'est un vrai moteur alors que l'hygiène beauté au sens large stagne », explique René Van Duijnhoven chez Nivea. « Tous ces groupes sont en recherche de relais de croissance, au moment où leurs segments traditionnels, comme le rasage ou les crèmes, progressent peu », confirme un responsable du secteur chez Auchan. Ici aussi, Unilever domine le marché (36 %) avec ses marques Axe, Rexona ou Brut, talonné de près par L'Oréalcute;al (29 %) et ses blockbusters, Mennen et Narta. La concurrence était déjà forte les années précédentes. En mars 2008, L'Oréalcute;al avait dû retirer dans la nuit de son lancement sa nouvelle gamme Airness, accusée par Unilever de ressembler un peu trop à ses bouteilles d'Axe. Mais la compétition redouble cette année avec l'arrivée de l'autre concurrent de taille : Procter et ses nouvelles Gillette Series. Pas moins de treize références de billes, sprays et sticks sont lancées à coups de mises en avant promotionnelles dans les rayons des supermarchés. « Nous voulons emmener nos dix millions d'utilisateurs Gillette au-delà du rasage avec une gamme spécifiquement conçue pour les hommes », déclare le directeur marketing Francesco Tortora, rayant indirectement les marques à connotation féminine comme Dove ou Nivea. « Procter a déjà fait plusieurs tentatives sans succès », rétorque René Van Duijnhoven chez Nivea, qui en profite en même temps pour étendre sa gamme Silver Protect avec des déodorants aux ions d'argent censés éliminer les bactéries. L'Oréalcute;al réagit en étendant aux déodorants sa gamme de soins Men Expert. Unilever, de son côté, avait anticipé toutes ces attaques en lançant, dès octobre dernier, Dove Homme, aujourd'hui en concurrence frontale avec Men Expert. « Cela va être la guerre en linéaire mais nous ne prendrons pas tout », prévient-on chez Auchan. La bataille médiatique promet aussi d'être virulente, avec un avantage pour Unilever, qui a concentré ses investissements sur la publicité. Il risque donc d'y avoir quelques blessés sur le chemin. D'autant qu'en 2009, seules 10 % des ventes ont été réalisées avec des produits de moins d'un an. Les hommes ne sont donc pas si infidèles que ça.Sophie Lécluse
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