August Sander, moderne avant l'heure

hotographieMine de Herdorf, dans le Westerwald en Allemagne, 1890. Alors que mineurs et man?uvres s'acharnent à extraire le fer, un photographe professionnel vient planter son trépied à quelques pas de là pour y installer sa chambre. Intrigué, le jeune August Sander (1879-1964) s'approche de l'appareil. Et découvre à travers lui le ciel tel qu'il ne l'avait jamais vu. « C'est de cet instant qu'a grandi mon enthousiasme pour la photographie », dira-t-il des années plus tard. Nul ne se doute encore que ce fils de mineur allait devenir un des photographes importants du XXe siècle, comme le rappelle aujourd'hui une exposition magistrale présentée à la Fondation Henri-Cartier-Bresson.Magistrale, cette rétrospective l'est à plus d'un titre. D'abord parce qu'elle révèle le photographe sous un jour inédit en disposant aux côtés de ses portraits quelques vues urbaines, mais surtout un nombre équivalent de paysages. Ensuite parce que l'accrochage dynamique proposé permet de saisir cette ?uvre dans toute sa complexité. Enfin, parce que cet ensemble d'une centaine de tirages d'époque d'une qualité exceptionnelle souligne l'influence flagrante de Sander sur la célèbre école de photographie de Düsseldorf emmenée par Bernd et Hilla Becher. Ces derniers devaient ensuite inspirer les stars de la photo contemporaine comme Andreas Gursky ou Thomas Ruff.Photographe de studio établi à Cologne dès 1910, August Sander s'est décidé à documenter ses contemporains dès le début des années folles. Avec l'idée de dresser un portrait fidèle de son époque. Il choisit d'emblée de travailler à la chambre, par série, ce qui est alors rarissime. Il réalise alors ses photos en studio, en extérieur ou chez les gens qu'il laisse toujours apparaître tels qu'ils souhaitent être représentés. À l'image de ce couple de paysans posant en robe longue et queue-de-pie.Portraits décalésSander immortalise ensuite les métiers. Il y a par exemple ce policier vieillissant aux longues moustaches horizontales qui semble être rescapé de l'empire prussien. Ou encore ces deux secrétaires. La première, saisie en 1931, travaille pour la radio. Coupe masculine, allure androgyne, cigarette au bec, on la soupçonne d'aller s'encanailler au « Cabaret » tous les soirs. L'autre, véritable petite fille modèle avec son col blanc amidonné, a survécu à la guerre et l'on préfère ne pas savoir comment. Il y a aussi ces handicapés, probablement invalides de guerre, dont le peintre Grosz aurait pu faire le portrait.Il y a quelque chose de conceptuel avant l'heure dans ces séries. Et plus encore lorsqu'il photographie des mains. Ou encore les personnes ayant sonné à sa porte, qu'il s'agisse de mendiantes ou d'huissiers. Son idée du paysage, souvent immortalisé de haut, est toute aussi contemporaine puisque Sander avait choisi de montrer à travers ses images la manière dont l'homme était intervenu dans ces espaces des bords du Rhin.Rien de lyrique là-dedans. Plutôt quelque chose de hiératique. Et c'est magnifique. Mais pas au goût des nazis. Car nulle trace de race supérieure ni d'Aryens, ici. Mais des hommes et des femmes, des Noirs et des Blancs, des révolutionnaires et des artistes, des notables et des chômeurs tous mis au même plan. Il n'en faut pas plus pour que l'?uvre soit bannie et les livres mis au pilon. Et c'est seulement à la fin de la guerre que l'Allemagne reconnaît enfin le travail extraordinaire d'August Sander à sa juste valeur. n August Sander, Fondation Henri-Cartier-Bresson. Jusqu'au 20 décembre. Tél. : 01.56.80.27.03. www.henricartierbresson.org
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