« Les banques françaises n'ont rien coûté au contribuable »

Vous avez été désigné par les lecteurs de « La Tribune » stratège de l'année, notamment grâce au rachat de Fortis. Cette opération est-elle aussi gagnante que vous l'espériez ?Ce prix honore toutes les équipes de BNP Paribas, dont le professionnalisme et l'engagement sont exemplaires dans la mise en oeuvre de notre stratégie. L'opération Fortis est très cohérente avec la politique menée depuis exactement dix ans par BNP Paribas : construire un grand acteur européen au service de tous nos clients. L'achat de Fortis n'a pas changé notre modèle économique, puisque nous réalisons toujours à peu près la moitié de nos revenus dans la banque de détail, un tiers dans la banque d'investissement et le solde dans tous les métiers de la gestion d'actifs. En revanche, nous n'avons pas cessé de nous européaniser, à travers notre développement organique et nos acquisitions. Désormais, nous avons la capacité de faire de la banque de détail sur quatre marchés domestiques en Europe (Italie, France, Belgique, Luxembourg). En dix ans, les effectifs du groupe ont plus que doublé et nous sommes passés de 36 % à 69 % de salariés hors de France.L'histoire n'est jamais finie... Quelle sera la prochaine étape ?Dans la zone Europe-Méditerranée, en Turquie, dans les pays du Maghreb où nous venons de dépasser le chiffre de 5 millions de clients, nous avons l'ambition de nous développer fortement dans la banque de détail. Le groupe souhaite aussi accroître ses activités de banque de financement et d'investissement ainsi que de gestion d'actifs et de banque privée en Asie.Cela dit, nous devons avant tout délivrer les synergies du plan d'intégration de Fortis, d'un montant de 900 millions d'euros. Cela concerne plus de 1.000 projets et 4.000 personnes, il s'agit donc d'un travail intense. Il faut vraiment distinguer la réalisation juridique d'une acquisition et l'élaboration du projet industriel ? c'était 2009 ? et la mise en oeuvre effective de l'intégration opérationnelle de Fortis, qui se fera en 2010 et 2011.Enfin, après la crise financière, de nouvelles règles sont en cours d'élaboration à Bâle concernant les fonds propres et la liquidité des banques. Tant que nous n'en saurons pas plus, il serait clairement prématuré de nous lancer dans une quelconque opération. Or, ces règles seront connues fin 2010 pour une application fin 2012.Redoutez-vous un excès de zèle des régulateurs ?Je redoute en effet le risque d'une injonction contradictoire. D'un côté, on demande aux banques de financer l'économie, et nous y sommes déterminés. Mais de l'autre, les contraintes s'accumulent sur le système bancaire. Nous avons déjà largement tenu compte des enseignements de la crise : dans le cas de BNP Paribas, nous avons fait passer nos fonds propres en dix-huit mois de 40 milliards à 60 milliards d'euros, et bien qu'ayant traversé la crise sans connaître aucun problème de liquidité, nous avons aussi fortement accru nos réserves dans ce domaine. Nous avons beaucoup réduit nos risques de marché et ramené notre ratio dépôt/crédits de 128 % à 118 %. Si le comité de Bâle place ses curseurs de liquidité et de solvabilité à des niveaux manifestement excessifs qui affectent fortement nos capacités opérationnelles, l'activité de crédit s'en ressentira dès l'an prochain. Or, en Europe, les banques assurent 70 % à 80 % du financement des entreprises, contrairement aux États-Unis, où ce rôle est dévolu aux marchés. Je comprends tout à fait la nécessité d'augmenter les exigences en capital sur les activités de marché, plus risquées. En revanche, un excès de zèle sur les activités de crédit classique aux entreprises et aux ménages serait très contre-productif pour l'économie. Ce qui est en cause, c'est vraiment le niveau de la croissance et de l'emploi en Europe continentale dans les prochaines années. Nous serons par ailleurs attentifs à ce que les règles s'appliquent pour tous, Européens et Américains, ce qui n'est pas acquis.Que répondez-vous à ceux qui reprochent aux banques françaises de ne pas bien jouer leur rôle dans le financement de l'économie ?Je crois pouvoir dire que malgré un contexte économique difficile, les banques françaises ont pleinement joué le jeu l'an dernier, et BNP Paribas notamment. Globalement, les crédits à l'économie française ont progressé de 1,8 %. Ailleurs, c'est un recul : ? 1,8 % en Allemagne, ? 4,2 % en Espagne et ? 7,3 % au Royaume-Uni. Les encours en France ont progressé de 4,1 % pour les ménages, avec un repli de 0,9 % pour les entreprises, dû au fait que les grandes entreprises ont levé 64 milliards d'euros sur les marchés obligataires, contre 15 milliards seulement en 2008. Les financements accordés aux seules PME ont progressé de 2,5 % l'an dernier. Chez BNP Paribas, nous avons accru de 3,7 % nos prêts à l'économie.Pourtant, l'image des banques est très dégradée...Les événements liés à la crise ont évidemment affecté de façon négative l'image institutionnelle des banques dans le monde entier. La restauration de cette image prendra du temps. Mais les banques françaises n'ont rien coûté au contribuable et lui ont même rapporté, à la différence des banques britanniques ou américaines, qui doivent toujours des sommes colossales à leurs États. Ensuite, nous n'avons pas subi chez nous de véritable crise immobilière. Le système du crédit à l'habitat à taux fixe et l'attention portée au taux d'endettement des ménages font qu'il n'y a pas eu en France d'augmentation très forte du nombre d'emprunteurs ne pouvant rembourser leurs prêts. Tout ceci explique que le traumatisme soit probablement moins profond en France que dans d'autres pays. L'image individuelle de chaque banque auprès de ses clients a beaucoup mieux résisté que l'image collective. Avez-vous remarqué que, d'après la dernière étude commandée par la CGPME, neuf PME sur dix sont satisfaites de leur relation avec leur banque ? En plein coeur de la crise financière, il est compréhensible que l'opinion ait fait des amalgames. Mais aujourd'hui, les chiffres et les faits plaident pour nous : je n'aurai de cesse de répéter que la façon dont les banques françaises se sont comportées avant, pendant et après la crise les distingue très favorablement de ce qui s'est produit dans la plupart des autres pays, car derrière cette différence, il y a le travail et le mérite des 400.000 salariés de notre profession.Les États ont volé au secours des banques. Ne pensez-vous pas que les banques devraient maintenant renvoyer l'ascenseur ?En France, le plan de soutien a consisté en des aides temporaires qui ont été consenties à des conditions de marché et qui ont rapporté en 2009, 2,3 milliards d'euros d'intérêts à l'État. La réforme de la taxe professionnelle va leur coûter 150 millions d'euros supplémentaires chaque année et la taxe créée à l'occasion de l'installation de la nouvelle autorité prudentielle coûtera entre 100 millions et 150 millions d'euros par an. Or, les bénéfices des banques servent en premier lieu à renforcer leurs fonds propres et conditionnent donc leur aptitude à faire du crédit, qui est le fondement de leur utilité sociale. Amputer leurs résultats risque de restreindre leur capacité matérielle à financer l'économie : c'est pourquoi toute taxe supplémentaire pose un problème, y compris en termes d'intérêt général.
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