Saint-Gobain allume le feu en Pologne

'effet est immédiat. La chaleur, suffocante. Une lumière rouge émane du four verrier, véritable monstre de fer et d'acier, que Saint-Gobain a construit à Dabrowa, près de Cracovie, en Pologne. Dans leur jargon, les " verriers " parlent d'un " float ", et même plus exactement d'une " ligne float ". " Float " parce que la feuille de verre glisse sur un bain d'étain en fusion. " Ligne " parce que l'ensemble court sur 800 mètres. Composé de matériaux réfractaires, le four, la pièce maîtresse, est capable de résister à des températures allant jusqu'à 1.600°C. Il peut contenir jusqu'à 2.000 tonnes de verre en fusion qui se déroule, semblable à de la guimauve, 24 heures sur 24. Mais c'est une autre " ligne float " qui, depuis cet été, tient la vedette. Une ligne toute neuve, le fruit de dix-sept mois de travail. En juin dernier, lors de son inauguration, tout le personnel de Dabrowa a été réuni pour assister à la cérémonie dite de l'allumette. La mise en scène a été soigneusement étudiée. Un homme revêtu de pied en cap d'une tenue de protection en aluminium se penche dans le " float n°1 " pour y recueillir le feu à l'aide d'une torche. Puis, après avoir quitté sa tenue, il se dirige à pas lents vers la nouvelle ligne. Pour ajouter à la solennité, la musique des " Chariots de feu " retentit. Habillée pour l'occasion d'un costume régional polonais, la marraine du nouveau four, qui n'est autre que Laure de Chalendar, la fille du directeur général de Saint-Gobain, Pierre-André de Chalendar, saisit la torche et l'enfourne. " Pracuj dlugo i wydajnie ! " : c'est en polonais qu'elle souhaite à ce nouveau four une " longue et efficace vie ! ". Comme toutes les installations de ce type, la " ligne Float Dabrowa 2 " est programmée pour brûler sans jamais s'arrêter durant au moins quinze ans." Dabrowa 2 " produira chaque année 190.000 tonnes de verre plat, principalement destiné au marché polonais, notamment pour le verre automobile. Saint-Gobain a consacré 100 millions d'euros à cet investissement. Le marché est prometteur. La croissance de la consommation de verre atteint 8 à 9 % en Europe de l'Est contre 2 % en Europe de l'Ouest. Et la Pologne constitue l'un des piliers industriels du groupe en Europe. " Notre stratégie est d'éviter les surcapacités. Nous attendons que la demande soit forte pour investir. Le prix du verre standard [sans dépôts de couches additionnelles qui augmentent sa valeur ajoutée, Ndlr] n'est pas plus élevé aujourd'hui qu'en 2001, alors qu'entre-temps les prix de l'énergie comme l'acier se sont envolés. Aussi nous ne rajoutons pas trop de capacité en Europe et nous nous dirigeons vers les pays émergents, là où il y a de la croissance, sachant que le prix de la tonne de verre oscille entre 400 et 600 euros sur le marché mondial ", décrypte Jean-Pierre Floris, le directeur du pôle vitrage de Saint-Gobain.Tous les groupes industriels cherchent aujourd'hui à monter en puissance dans les pays émergents. Mais pour le premier groupe verrier européen, qui a réalisé au premier semestre près de 15 % de son chiffre d'affaires consolidé dans ces pays, ce défi est plus complexe. " Saint-Gobain ne peut pas réaliser d'acquisitions majeures dans les pays émergents, car les produits que le groupe développe n'existent encore pas ou peu et les acteurs émergents qui pourraient les avoir développés ou les commercialiser ne sont pas de taille ou de maturité suffisante pour constituer des proies attrayantes ", fait valoir un banquier d'affaires.24 SITES ET 7.500 EMPLOYES EN POLOGNELes pays émergents commencent par se développer dans les matériaux de base comme le ciment ou l'acier. Le vitrage, les matériaux d'isolation ou la plaque de plâtre ne sont adoptés que dans un second temps. Ainsi, en Chine, les mortiers (des matériaux utilisés très couramment en Europe dans la construction comme liant ou comme enduit) constituent un tout petit marché. Dans les pays émergents, reprend ce banquier, les artisans s'approvisionnent souvent dans des boutiques grand public, pas dans des négoces. Des chaînes de distribution de produits spécialisés pour le bâtiment, comme Point P, n'ont pas leur place. Si elles existent, elles font souvent partie de grands conglomérats et n'ont pas d'existence propre. " Autant Lafarge, qui intervient en amont dans la production de ciment, a pu acquérir des groupes émergents comme l'égyptien Orascom, autant Saint-Gobain est obligé d'investir lourdement ", conclut cet expert. Avant de relever que Jean-Bernard Lafonta, le directeur général de Wendel, entré sans y être invité au capital de Saint-Gobain il y a un an, avait incité l'industriel à accélérer son développement dans les pays émergents. Sans avoir mesuré, peut-être, toute la complexité du dossier.Même si elle arrive avec deux ans de retard sur le calendrier initial, la nouvelle unité de production de Dabrowa démontre en tout cas que Saint-Gobain place la Pologne au coeur de ses ambitions en Europe de l'Est. Le numéro 2 mondial du verre compte aujourd'hui, dans le pays, 24 sites industriels et 7.500 employés. Depuis 1997, son chiffre d'affaires en Pologne a crû en moyenne de plus de 25 % par an. Il y dépasse désormais le milliard d'euros. Une performance qui place ce pays parmi les dix premiers marchés de Saint-Gobain.
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