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S'il réussit ce vendredi son premier vol, l'A400M n'en restera sous doute pas moins un cauchemar pour EADS et son président exécutif, Louis Gallois. Il faut dire que le surcoût de l'appareil de transport militaire d'Airbus atteint un sommet, entre 7,5 et 8 milliards d'euros, contre 5 milliards pour le gros-porteur civil A380. « Pratiquement le chiffre d'affaires d'Aerospatiale juste avant son intégration dans EADS », souffle-t-on perfidement en interne. Et ce, à cause d'un fiasco industriel qui deviendra sans doute un cas d'école. Car tous les facteurs se sont ligués pour créer ce bug géant. Incompétence, notamment de l'espagnol EADS CASA, incapable de gérer un tel programme. Ambitions et rivalités des dirigeants d'EADS et d'Airbus qui ont laissé l'A400M en déshérence. Sous-estimation de la complexité. Sans oublier un système de juste retour de la charge de travail qui confie des contrats à des sociétés ne maîtrisant pas les technologies exigées.« EADS s'est engagé à réaliser un type d'avion qu'il n'avait jamais construit sans se doter de la meilleure organisation pour le faire », résume pudiquement un rapport parlementaire de février 2009. C'est là le fond du problème. À quoi s'ajoute une expérience trop limitée d'Airbus en matière d'intégration de systèmes militaires. « Il n'y a eu personne aux commandes de l'A400M pendant très longtemps », confirme-t-on au sein du groupe européen. Après les retards de l'A380 et la valse-hésitation du lancement de l'A350, EADS montre hélas son incapacité à gérer la maîtrise d'?uvre de grands programmes militaires. Car ce qui est vrai pour l'A400M l'est aussi pour l'hélicoptère de transport et les drones. Pourtant, le 27 mai 2003, lorsque est signé à Bonn, après deux ans de tergiversations allemandes, ce contrat de 180 avions pour 20 milliards d'euros (développement compris), c'est l'euphorie. EADS tient enfin son premier grand programme militaire, qui va l'aider à rééquilibrer ses activités, trop dépendantes des cycles de l'aviation civile. L'Europe, de son côté, espère avoir ainsi relancé une défense commune en panne. Et les crispations semblent oubliées entre les États et le constructeur, qui s'est fait tordre le bras pour choisir des motoristes européens (Snecma, Rolls-Royce, l'allemand MTU et l'espagnol ITP, regroupés dans le consortium EPI), au détriment de Pratt & Whitney Canada, pourtant mieux- disant. À la grande rage de Noël Forgeard, PDG d'Airbus à l'époque.Puis le programme tombe dans l'oubli ou presque, le groupe saluant en 2005 ses premiers succès à l'export (Afrique du Sud, Malaisie, Chili). Ce seront les derniers? mais il ne le sait pas encore.Tout s'accélère en juillet 2006. « La Tribune » révèle, sur la base de témoignages de fournisseurs de l'A400M glanés lors du salon de Farn- borough, que le programme pourrait connaître des retards d'un an et demi à trois ans. Pluie de démentis d'EADS et Airbus Military. Pourtant, fin juillet, EADS lance une « revue très approfondie » du programme, au cas où? Tout en continuant à réfuter tout problème, et a fortiori tout retard. Les deux coprésidents du groupe, Tom Enders et Louis Gallois, assurent que l'A400M a un « calendrier très serr頻 mais « faisable ». En octobre, le PDG d'Airbus, Christian Streiff, affirme que le programme est « à la limite » en termes de calendrier. Mais il lâche aussi une bombe qui passe alors relativement inaperçue : « Nous n'avons pas encore trouvé une base de coûts appropriée pour atteindre nos objectifs de rentabilité. »L'A400M commence à sentir le roussi. Le feu couve mais les alarmes ne fonctionnent pas. Ainsi, l'audit confirme bel et bien les difficultés du programme, mais EADS continue de nier tout retard? jusqu'en mars 2007, où, du bout des lèvres, le groupe admet « trois mois » de dérapage pour le démarrage de la chaîne d'assemblage final. Pourtant, Tom Enders veut encore y croire : « Peut-être y aura-t-il des retards mais, pour l'instant, nous collons à la date de livraison prévue en octobre 2009 », explique-t-il. Le crash est proche, mais les capitaines continuent de piloter en aveugle. Pourquoi une telle cécité ? « Le management d'EADS et d'Airbus n'avait plus de contact avec le terrain pour comprendre la réalité d'un programme difficile, tente-t-on d'expliquer parmi les fournisseurs. La multiplication des intervenants a aussi entraîné la dilution des responsabilités. »En juillet 2007, EADS commence enfin à percevoir l'orage qui s'annonce. Mais il est loin encore de l'évaluer avec finesse. Le groupe a surtout identifié un problème sur le moteur et ne cache plus son irritation vis-à-vis d'EPI, le consortium de motoristes. Pendant longtemps, EADS va s'acharner sur ces derniers. Pourtant, c'est l'arbre qui cache la forêt. « La livraison du premier avion au standard définitif serait retardée de quatre ans, ce qui est le double du retard découlant du Fadec [le logiciel du moteur, Ndlr], note le rapport parlementaire. Le retard du Fadec serait sans conséquence sur la date de la livraison au standard définitif. » Au-delà des moteurs, en effet, certains des programmes d'avionique confiés à Thales, Sagem (groupe Safran) et EADS sont très en retard, voire en souffrance. À tel point qu'EADS demande aux clients l'abandon de deux d'entre eux que, ironie du sort, il gère lui-même ! Fin juillet, EADS reporte de six mois le premier vol. C'est le début alors de l'escalade des provisions (qui se montent alors à 2,4 milliards d'euros) et d'une communication au fil de l'eau du groupe. Lequel va subir les dérapages financiers et calendaires de l'A400M pendant dix-huit mois.Début 2009, tout le monde (maître d'?uvre, fournisseurs, États) est au bord de l'implosion. Quelques mois plus tôt, Safran et EADS se sont publiquement déchirés, sous les yeux médusés de la presse, se rejetant mutuellement la responsabilité des retards. EADS a entonné depuis peu le couplet sur le partage du fardeau avec les États. « Nein », répond Berlin ; Paris se montrant plus conciliant.En février, le ministre français de la Défense, Hervé Morin, qui va mouiller sa chemise tout au long de 2009, s'acharne à mettre tout le monde autour d'une table de négociations. Notamment les Britanniques, qui veulent filer à l'anglaise grâce à une clause du contrat, et les Allemands, qui demandent l'application pure et simple du texte. Tandis qu'EADS, très tactique sur le dossier, se dit prêt à jeter l'éponge. Hervé Morin arrache en avril un premier moratoire de trois mois aux États clients qui restent dans le programme. En juillet, au Castellet, dans le Var, il obtient des sept pays clients une révision des termes du contrat, qui ouvre la voie à une renégociation complète, tant sur les surcoûts (pénalités comprises) que sur le calendrier et les spécifications de l'appareil. Le programme semble une fois pour toutes sauvé. Mais, dernier rebondissement, le gouvernement allemand sorti des urnes en septembre reprend sa parole en s'éloignant de l'esprit du Castellet. Il réclame l'application du contrat. Berlin prendra-t-il le risque de faire échouer le programme le plus emblématique de l'Europe de la défense ? C'est toute la question désormais. nInterview de Fabrice Brégier, directeur général d'Airbus, en page 14.Berlin prendra-t-il le risque de faire échouer le programme le plus emblématique de l'Europe de la défense ?Assemblage de l'A400M dans les usines d'EADS de San Pablo, à Séville.
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