« Je regrette les actions protectionnistes de l'État français »

Les milieux économiques allemands se sont félicités de la victoire électorale de la coalition entre conservateurs et libéraux. Cette satisfaction est-elle justifiée ?Les partenaires de cette coalition vont travailler sur la base de l'économie sociale de marché et non pas seulement sur celle de l'État providence. Certes, la chancelière et la CDU ont perçu que l'élément social était une composante importante de la réalité allemande, mais le futur gouvernement va sans doute concentrer davantage ses efforts sur la mise en place des conditions de la future croissance économique. Angela Merkel sait parfaitement que, pour financer notre système social et assainir les finances publiques, cette croissance est nécessaire. Il est sûr qu'il sera plus aisé pour la chancelière de mener une telle politique avec le FDP que dans le cadre d'une nouvelle version de la grande coalition.L'Allemagne sortira-t-elle plus forte de la plus grande crise de son histoire ?Oui et non. Oui, parce que la crise, dans les secteurs où l'Allemagne est traditionnellement forte, comme la chimie, l'automobile ou les biens d'équipement, mais aussi dans certains services comme la banque, a accéléré le mouvement de restructuration et les efforts de productivité et d'internationalisation. Bien que ces secteurs dépendent fortement des exportations et de l'international, je ne vois aucun recul mais, au contraire, une amélioration de la compétitivité allemande. Après la crise, l'économie allemande sera donc encore plus capable de proposer des produits novateurs et concurrentiels. Non, parce que l'industrie allemande reste trop attachée à ses atouts traditionnels et qu'elle n'a réussi que partiellement sa mutation structurelle vers une industrie de haute technologie et de services. Non également, parce que notre niveau de dépendance aux exportations ne pourra vraisemblablement pas être maintenu à celui où il est aujourd'hui. L'immense déficit des paiements des États-Unis n'est pas tenable. Ce qui signifie aussi que les excédents comme ceux de l'Allemagne ne le seront pas non plus. Il est clair que dans beaucoup d'industries, les sites de production devront être délocalisés vers des pays à bas coûts et vers les pays clients. Nous avons donc besoin d'une structure économique non pas qui abandonne ses positions à l'export, mais qui oriente plus la croissance future vers le secteur de la high-tech, des services et de la consommation.Depuis 2002, l'Allemagne voit sa population se réduire. Une politique plus ambitieuse s'impose-t-elle ?La politique familiale de la grande coalition, qui a intensifié celle du chancelier Schröder, notamment sous la direction de la ministre Ursula von der Leyen, portera ses fruits. Mais, même si nous avions une explosion des naissances aujourd'hui, les conséquences sur l'économie ne se traduiraient que dans vingt ou trente ans. Nous devons donc construire une politique d'immigration raisonnable et constructive : attirer les meilleurs talents vers l'Allemagne, passer des accords d'échanges avec les pays d'émigration et améliorer l'intégration de ceux qui sont déjà présents ici. À plus long terme, nous devons viser un relèvement démographique comme celui que l'on observe en France. Mais en France, ce phénomène s'explique également par l'immigration. Avec la question démographique se pose donc en tout cas celle de l'intégration, pour laquelle l'Allemagne a de meilleures chances de réussir ce défi que la France. Il est clair, en tout cas, que la politique de la famille et la politique de l'immigration seront les grands défis du prochain gouvernement.Le marché allemand du travail est-il devenu suffisamment flexible ?On peut évidemment toujours imaginer une politique plus flexible, notamment en réduisant la protection de l'emploi. Mais je ne crois pas que l'on puisse, pendant la crise, accélérer ce mouvement, car la population ne l'accepterait pas. Le durcissement des conditions de licenciement mettrait en péril la coexistence sociale. Il est nécessaire de retrouver un consensus entre les syndicats et les employeurs. Nous avons besoin d'une politique de salaires modérés en Allemagne pour ne pas détériorer nos positions concurrentielles. Sinon, les entreprises seront contraintes de restructurer et de supprimer ou délocaliser des emplois. Le consensus sur ce point sera donc encore nécessaire. C'est pourquoi je ne crois pas à une radicalisation de la position du futur gouvernement sur la question du marché de l'emploi, malgré la présence du FDP.Après les cas de Schaeffler ou d'Arcandor, le Mittelstand allemand, ce réseau d'entreprises familiales moyennes qui caractérise l'économie du pays, est-il en crise ?Non ! Dans certains secteurs traditionnels, comme les équipementiers automobiles ou la construction mécanique, il a pu y avoir, en raison de la crise, des faillites ou des concentrations. Mais ces concentrations vont renforcer la position et la compétitivité de ces secteurs. Je pense qu'au sortir de la crise, l'Allemagne restera le pays doté des PME les plus solides au monde. Ces entreprises demeurent d'ailleurs dans de nombreux domaines les leaders mondiaux.Le secteur bancaire allemand doit-il être repensé ?Je le pense. Cette crise a ici aussi des racines structurelles. L'Allemagne est attachée à son modèle à trois piliers (banques privées, caisses d'épargne et banques mutualistes) et n'a dans le secteur privé que deux grandes banques, ce qui est nettement trop peu. Aujourd'hui, seule la Deutsche Bank s'est montrée au fond capable de survivre et de faire face à la compétition mondiale. Les caisses d'épargne et les banques mutualistes, solides dans la crise, ne sont pas en mesure de faire face à la compétition internationale. Si le système des trois piliers doit être conservé, il doit s'ouvrir. Dans ce cadre, la privatisation et la consolidation des Landesbanken et des banques centrales mutualistes me semblent pratiquement inéluctables. L'Allemagne a néanmoins pu éviter le recours à des méthodes très protectionnistes comme on en a vu en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, où l'on a contraint les banques à accepter l'aide de l'État, moyennant des obligations en termes de distribution de crédits. On a ainsi favorisé le crédit domestique aux dépens du crédit étranger. En Allemagne, l'aide bancaire a été volontaire et n'a pas été conditionnée. Certaines méthodes britanniques, françaises mais aussi américaines, ne m'ont pas semblé en accord avec les règles de l'économie de marché et de l'OMC.Le moteur franco-allemand de l'Union européenne fonctionne-t-il encore ?Dans chaque crise, l'Allemagne et la France, par leurs initiatives et leurs forces communes, que ce soit sur le plan économique, de la recherche ou politique, ont permis de donner une nouvelle impulsion à l'Europe. Je crois cependant que, dans leur travail en commun, les deux pays devraient se garder de se montrer trop démonstratifs, afin que certains petits pays européens ne se sentent pas exclus. L'Allemagne et la France devraient faire beaucoup plus ensemble, mais moins en parler.Une coopération industrielle des deux pays est-elle possible ?Il faut laisser la liberté aux entreprises. Elles investiront et se développeront là où elles trouveront les meilleures opportunités : en Chine, aux États-Unis ou en France. L'essentiel est que les entreprises européennes soient renforcées, afin de pouvoir favoriser les investissements sur le continent. Je regrette à l'occasion les actions protectionnistes de l'État français, comme dans le cas d'Areva ou d'Alstom, où la coopération franco-allemande a été empêchée pour des raisons politiques. Lorsque Aventis a été racheté par Sanofi, l'Allemagne n'a rien dit, car l'État s'immisce généralement moins dans l'économie. Quand l'Allemagne agit de façon similaire, c'est le plus souvent une réponse à des mesures françaises. Au niveau des entreprises, la coopération est par ailleurs presque toujours bonne ; l'exemple d'Axa et d'Allianz le prouve. Mais l'État français a parfois bloqué dans les dernières années cette collaboration. Sur ce point, la France se doit de devenir encore un peu plus moderne et plus respectueuse des principes de l'économie de marché. nNotre niveau de dépendance aux exportations ne pourra pas être maintenu au niveau où il est aujourd'hui. »sur le modèle économique allemandLa France et l'Allemagne devraient faire beaucoup plus ensemble, mais en parler moins. »sur l'axe Paris-BerlinNous devons attirer les meilleurs talents vers l'Allemagne et améliorer l'intégration de ceux qui sont déjà présents. »sur la baisse de la population en Allemagne
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