L'éditorial de Sophie Gherardi : l'assommoir géant

Eux appellent ça l'apéro géant et considèrent ça comme une fête. Vu de l'extérieur, c'est plutôt une beuverie géante. Et c'est à la fête ce que les amis Facebook sont à l'amitié. Le phénomène se répand comme un feu de paille, disait-on autrefois, quand la France était rurale. Il se répand sur le mode viral, dit-on aujourd'hui. L'invitation est lancée sur les réseaux sociaux : rendez-vous tous à telle heure sur la place centrale avec les boutanches. Et chaque ville espère faire "mieux" que la précédente. En milliers de convives, pas en tonnes de bouteilles vides ou en nombre de comas éthyliques.ResponsabilitéCe samedi soir, c'est au Mans, dans la Sarthe, que 3.000 à 5.000 personnes sont attendues, sous bonne surveillance policière, pour cet événement festif. La préfecture a choisi de ne pas interdire, mais a appelé les organisateurs au sens des responsabilités après la mort accidentelle d'un jeune complètement ivre à Nantes. Sait-on seulement qui sont ces organisateurs, qui s'abritent derrière les pseudonymes propres à l'univers virtuel ? "Il n'y a pas d'anonymat", a averti Nathalie Kosciusko-Morizet, la secrétaire d'Etat au développement de l'économie numérique sur Europe 1. Elle souhaite qu'un dialogue s'instaure, comme pour les rave parties dans les années 90.Belle jeunesseParfait : de la responsabilité, du dialogue et vive l'apéro. Qui a dit qu'on ne laissait pas la jeunesse s'amuser ? Sans vouloir casser l'ambiance, quand on sait dans quelle situation économique et sociale elle se trouve, on s'interroge. La crise, les jeunes en ont pris plus que leur part : en France, leur taux de chômage a augmenté deux fois plus que celui de la population en général ; un jeune actif sur quatre est chômeur, contre un adulte actif sur dix. Cette exclusion du marché du travail s'est aggravée depuis deux ans, mais elle existe depuis vingt. Le désespoir sourd qui lamine des gens entre 20 et 30 ans n'est pas sans rapport avec l'essor de la biture collective. C'est "l'Assommoir" de Zola, version XXIe siècle. Dommage que les jeunes générations ne fassent pas davantage de politique. Elles s'apercevraient que si elles se donnaient rendez-vous sans bouteilles mais avec des revendications sociales -- du boulot, pas des stages ! -- elles feraient autrement trembler les autorités. Mais chut, laissons-les s'amuser.
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