« La Chine reste dépendante des pays industrialisés »

La Chine revendique désormais le deuxième rang des économies du monde devant le Japon. Le XXIe?siècle sera-t-il celui de la Chine??J'ai beaucoup de réserves sur ce type d'annonce. Peut-on revendiquer être la deuxième économie du monde lorsque le revenu par tête vous place dans les profondeurs du classement ou lorsque la population paysanne vit quasiment de l'autoconsommation?? La Chine est encore un pays en développement. Son modèle économique repose toujours pour l'essentiel sur la sous-traitance, assurant la production des segments intensifs en main-d'oeuvre, destinés à la réexportation. La Chine continue en effet d'importer 70?% de ce qu'elle exporte. En outre, ce sont essentiellement les entreprises étrangères qui assurent les exportations chinoises de produits sophistiqués. La Chine reste dépendante des pays industrialisés, tant pour les intrants à valeur ajoutée que pour les débouchés de sa production.Mais comment expliquez-vous l'essor de groupes chinois et la montée en gamme de la production chinoise??Le contenu local de la production chinoise a effectivement augmenté ces dernières années. D'où l'illusion de croire à un développement qui serait similaire à celui du Japon. Mais, en réalité, ce sont les grands donneurs d'ordres étrangers qui délocalisent en Chine des segments de production de plus en plus sophistiqués.Les craintes à propos d'une montée d'un nationalisme économique chinois sont-elles justifiées??La Chine cherche bien évidemment à acquérir des compétences et des technologies avancées. C'est tout l'enjeu aujourd'hui de la multiplication des conflits entre les autorités chinoises et les entreprises étrangères. Les Chinois tentent d'imposer une transmission de savoir-faire mais les multinationales défendent celui-ci bec et ongles.La Chine sera-t-elle le nouveau laboratoire du monde??L'acquisition de la technologie n'est pas aisée et le rachat d'une entreprise étrangère ne suffit pas à atteindre ce but. L'innovation, c'est le produit d'une sédimentation de la culture, à travers des générations. La Chine est encore très loin de talonner les États-Unis ou le Japon dans ce domaine. Il faudrait que la Chine puisse imposer aux monopoles qui détiennent la technologie qu'ils abaissent les «?barrières à l'entrée?». Cela requiert des conditions qui sont loin d'être réunies.Quels sont les autres handicaps du modèle chinois??Ils sont nombreux. Le modèle a atteint aujourd'hui ses limites car il est basé sur une contradiction?: la prospérité de la Chine repose essentiellement sur les exportations dont la compétitivité réside dans le faible coût de la main-d'oeuvre. Mais la concentration des ouvriers pousse à l'amélioration de leurs conditions de vie et, par conséquent, à une perte de la compétitivité. Pour la compenser, il faut remonter en gamme les filières de production, ce qui n'est pas facile. En outre, la production intérieure est assurée en temps de crise par les entreprises publiques, financées par les banques publiques. Tant que l'État contrôle les moyens de production et les circuits financiers, le système peut fonctionner. La pire menace qui plane sur la Chine, c'est la privatisation.Pensez-vous que la Chine n'a pas intérêt à l'ouverture??En effet, elle n'a pas intérêt, mais cette question fait l'objet de luttes féroces au sein du pouvoir. La question du taux de change en est un bon exemple. Le taux de change sous-évalué favorise non seulement les exportateurs chinois, mais aussi les multinationales installées en Chine, dont les investissements coûtent moins cher en leur propre devise. Mais il est défavorable aux entreprises étrangères qui n'ont pas délocalisé. Cela constitue également un dilemme pour les Américains. La Chine sera obligée un jour de réévaluer sa monnaie et d'accepter sa convertibilité. Mais elle deviendra une économie bien plus instable.Quand, d'après vous, la Chine accédera-t-elle aux premiers rangs des puissances économiques??La dépendance de la Chine à l'égard des pays développés est un fait. Je ne crois pas à un développement progressif qui lui permette de dominer le monde. Seul un effondrement des États-Unis permettrait à la Chine de jouer le premier rôle. Propos recueillis par Éric BenhamouDemain, Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint-Gobain.
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