« Il y a un fort sentiment antibusiness à Hollywood »

drstéphane debenedetti, maître de conférences Recherches en management à l'université paris-dauphineStéphane Debenedetti est l'auteur d'un article intitulé « Affreux, sales et méchants ! Une analyse exploratoire de la critique cinématographique du monde des affaires », pour l'ouvrage collectif « les Études critiques en management. Une perspective française », paru aux Presses Universitaires de Laval. Quelle est l'image de l'entreprise au cinéma ?Il y a un fort biais antibusiness à Hollywood comme ailleurs. Le monde des affaires y est le plus souvent décrit comme violent et mortifère. Il se caractérise aussi par son opacité, sa rigidité, son culte du chiffre et sa vision court-termiste du monde.Le cinéma conteste-t-il pour autant le capitalisme ?Pas forcément. Capra, par exemple, en bon conservateur, ne souhaite révolutionner ni l'entreprise ni le marché. Il recommande aux patrons et hommes d'affaires de devenir meilleurs, permettant au système de s'améliorer, donc de perdurer. La même logique conservatrice, teintée de social ou d'éthique, sous-tend bon nombre des films hollywoodiens qui décrivent un monde des affaires parfois corrompu, mais réformable : « Mary Poppins », « Wall Street », « Working Girl ». Inversement, d'autres, de Chaplin à John Carpenter ou George Romero, ont une approche plus subversive de l'entreprise : ils prônent sa désorganisation, voire sa destruction, ridiculisent les patrons, etc.Comment expliquer cette image plutôt négative de l'entreprise ?Moult explications ont été avancées : critique sociale, syndicalisation importante des scénaristes hollywoodiens, méconnaissance du monde de l'entreprise, reflet des tendances de l'opinion, stigmatisation de la richesse... Mais l'explication qui paraît la plus intéressante est que le réalisateur projette son propre rapport avec son employeur, qui est le studio. Le cinéaste exprimerait donc d'abord sa propre frustration d'auteur condamné au compromis. Ainsi, la domination violente du patron peut être lue comme le symptôme de la hantise de l'artiste face à l'arbitraire qui lui imposerait des choix artistiques. Au nom de cet idéal, l'artiste se trouverait ainsi toujours du côté de celui qui est dominé, contraint, contrôlé, exploité : le pauvre, le vagabond, l'ouvrier, le sous-fifre, le consommateur manipulé, etc.Sur quoi se base cette hypothèse ?Les producteurs de cinéma sont représentés comme mercantiles et généralement incultes : « le Mépris », « Stardust Memories », « Chasseur blanc, coeur noir », « The Player »... Surtout, les qualités que les cinéastes accordent aux bons patrons les rapprochent assez nettement de l'image idéalisée de l'artiste romantique : créatif, innovant, révolté, mobile, éternellement jeune, sensible, visionnaire, dans l'écoute, développant un projet sur le long terme au détriment des « coups » : « La vie est belle », « la Tour des ambitieux », « Mary Poppins », « Wall Street », « Working Girl ». Par ses critiques, le cinéaste plaiderait donc d'abord pour un style de management plus emprunt de valeurs artistiques.Comment Hollywood en arrive à produire de telles critiques ?La plupart du temps, de manière tout à fait consciente, voire intéressée. Ces représentations négatives permettent au système capitaliste d'évacuer le surplus d'énergie qui le menace, lui donne une dimension éthique par la seule liberté de l'autocritique, et lui offrent d'organiser lui-même sa propre contestation. Bref, le capitalisme pourrait ainsi assurer sa pérennité, en faisant de sa propre mise en cause un vecteur positif de longévité, et non de remise en cause.Propos recueillis par Jamal He
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