En 2010, la technologie, c'est le pouvoir

La France change de séquence. L'industrie aussi. L'actualité du cycle « Sarkozy-Fillon 1 » a été marquée par la crise financière, le plongeon du « made in France », les ratés du nucléaire, les déceptions d'Alstom, les humiliations de L'Oréalcute;al et « l'assassinat » du port de Marseille. La séquence « Sarkozy-Fillon 2 » s'annonce moins noire, moins imprévisible mais tout aussi tendue.Moins noire parce qu'il faut se méfier des clichés de style Houellebecq sur la France « désindustrialisée ». L'opinion et les politiques voient, dans les 600.000 postes détruits dans l'industrie depuis dix ans, la préfiguration d'un basculement naturel de l'emploi dans le magma indifférencié de l'économie de services. Or le basculement n'a rien de naturel. Il s'explique par la perte de compétitivité des usines et non par la disparition du génie industriel de la patrie de Fayolle et de Saint-Simon. La nuance est essentielle. La compétitivité peut toujours se reconstruire à travers des changements de paramètres, humains, techniques ou organisationnels. À l'inverse, l'évaporation de savoir-faire et de culture technique signe la mort d'une puissance autonome.Une séquence moins imprévisible aussi. Bonne nouvelle, les fondamentaux des chefs de file de l'industrie française - les Peugeot, Michelin, Schneider, Air Liquide, Saint-Gobain ou Sanofi-Aventis - ont correctement résisté à deux années de tempêtes financières et commerciales. Même constat pour la deuxième ligne offensive, celle des Rhodia, Dassault Systèmesave;mes, Essilor, SEB ou Technip. Fâcheusement absente de l'avant-garde de certains secteurs high-tech, la France reste légitime aux yeux du jury mondial de l'industrie, car ses ingénieurs sont culturellement proches de ceux d'Allemagne, de Suisse et du Japon. Trois pays « qui voient la machine derrière le produit, selon l'expression de Xavier Fontanet, le président d'Essilor dans un livre récent (*). Pour un Japonais, un croissant au beurre, c'est aussi un four, une hydrométrie et des dosages de température. Les Suisses ont la même logique. Ce n'est pas un hasard si Nestlé a inventé le Nespresso ». La chaîne de valeur réunit alors les équipements, les process, les consommables, les contrats de fidélité avec le client... C'est la voie royale pour accéder aux étages les plus rémunérateurs de l'économie de services.Hier, des bulles spéculatives. Aujourd'hui, des explosions de dettes souveraines. Demain la guerre des monnaies. Comment de tels cataclysmes ne finissent-ils pas par paralyser la vie des entreprises ? C'est sans doute un effet du double mouvement de mondialisation des échanges et de segmentation des marchés. L'économie moderne ne se résume plus à « l'infiniment grand » d'une poignée de blocs monolithiques, les uns placés sous une bonne étoile, les autres aspirés dans le trou noir de l'histoire.La science, la technologie et l'entreprise lui opposent « l'infiniment petit » des innovations, des initiatives et des expériences qui courent chaque jour tout autour de la Terre et font surgir en tous lieux des îlots de croissance inattendus.En 2010, la technologie, c'est le pouvoir. L'actualité en témoigne. Grâce à Nokia, le centre de gravité de l'industrie du mobile s'était longtemps maintenu en Europe. Or, avec les smartphones, le leadership technologique a glissé de Scandinavie en Californie et en Asie. Le ressac commercial a été aussi violent qu'immédiat. Il aura suffi de vingt-quatre mois à l'Android de Google et aux systèmes d'Apple, BlackBerry et Microsoft pour balayer quinze années d'imperium européen. L'exemple est à méditer.(*) « Si on faisait confiance aux entrepreneurs. L'entreprise française et la mondialisation » par Xavier Fontanet, Éditions Manitoba/Les Belles Lettres, 2010, 250 pages.Par Jacques Barraux Journaliste
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