Gare à la dictature de la stressologie

D'abord, on publie les propositions des sages pour prévenir les « risques psychosociaux au travail ». Puis, dans la foulée, une liste « verte-orange-rouge » des entreprises, selon que, au 1er février, elles ont ou non signé avec leurs syndicats un accord de prévention contre le stress. Une manière astucieuse, certes, de faire pression sur elles, sans passer par une énième loi sociale. Pourtant, ce télescopage a quelque chose de gênant. Car s'il y a une priorité aujourd'hui en France, c'est plutôt de traiter le stress profond des 4 millions de personnes tenues à l'écart du monde du travail et qui ne sont pas près d'y rentrer. Le problème est plus en dehors qu'à l'intérieur des entreprises. Selon une très sérieuse enquête de mars 2009 sur les conditions de travail, le stress intense affecte 15 % des actifs. Bien sûr, ce n'est pas rien, et ce mal moderne, qui semble s'étendre dans les très grandes organisations où les exigences sont multiples et parfois contradictoires, mérite attention. Mais ce n'est pas un phénomène général comme semble le suggérer la longueur de la liste rouge : la majorité des Français au travail sont conscients de leur chance et se disent plutôt heureux. Ensuite, à blanchir les entreprises qui ont signé un accord de fond ou seulement de méthode, tout en stigmatisant celles qui ne l'ont pas (encore) fait, on accrédite l'idée qu'accord vaut traitement du phénomène. Or, la surcharge de travail, comme le sentiment aigu de certains salariés de ne pouvoir faire face, relève d'une approche curative longue et expérimentale : la stressologie est une science neuve et molle, où symptômes, diagnostic des causes et remèdes efficaces sont encore à inventer dans notre société hyperproductive. Enfin, dire que les entreprises doivent « donner aux salariés les moyens de se réaliser dans leur travail », comme le font aujourd'hui les sages, c'est peut-être pousser la frontière de leur responsabilité sociale un peu loin. Réduire la dose de stress en entreprise, sans doute. Mais n'en demandons pas trop ! [email protected]érie Segond
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