Du Yukon à Terre-Neuve, 8.298 ? km de francophonie : Moncton, le micmac des mythes Acadiens

Si Dieppe, sur la route de Moncton, au Nouveau-Brunswick, s'appelle ainsi, ce n'est pas parce des immigrants français s'y seraient installés dès le xviie?siècle. La bourgade est née il y a 50 ans seulement, rassemblant les villages environnants, et son nom rend hommage aux soldats de la région tombés lors du « D Day ». Des Acadiens pour la plupart. À Dieppe, la population est à 80?% francophone et à 34?% à Moncton. Pourtant, «?l'Acadie vit avant tout dans l'imaginaire?», assure Maurice Basque, directeur de l'Institut des études acadiennes à l'université de Moncton. Son nom vient-il d'une référence à l'Arcadie grecque, qu'auraient choisie les premiers immigrants, venus du Poitou et de Saintonge, ou d'un mot de la langue micmac signifiant «?terre fertile?» ou encore «?lieu où la chasse est bonne?»?? Les deux mythes circulent. Comme bien d'autres, en particulier sur l'expulsion des populations francophones et catholiques - alliées aux Indiens micmac - par l'Anglais vainqueur, entre?1755 et?1763. «?Le Grand Dérangement, c'est l'année zéro de l'identité acadienne?», précise le professeur Basque, pour ajouter?: «?Les Britanniques ont fait du nettoyage ethnique avant l'heure et brûlé toutes les maisons, pour bien signifier aux francophones qu'ils ne pourraient jamais revenir.?» Mais ils ne sont pas partis directement en Louisiane pour devenir des Cajuns. Certains sont retournés sur les terres de leurs ancêtres, en Bretagne ou dans le Poitou. À Belle-Île-en-Mer, ils ont reconstruit leurs maisons canadiennes à l'identique. D'autres sont partis en Haïti, en Guyane et jusqu'aux Malouines. C'est de France que d'aucuns, rebutés de payer des taxes royales, ont été séduits par un nouveau départ vers la Louisiane, alors colonie espagnole. Quant à la fameuse Evangeline, dont Paul Claudel, ambassadeur de France, a voulu voir la tombe (vide) à Saint Martinville, elle n'est que le fruit de l'imagination du poète américain Longfellow. Ce qui est vrai, en revanche, c'est que, comme pour les ancêtres de Maurice Basque, les familles ont été séparées, les uns acceptant de devenir protestants, les autres non. «?Mon ancêtre est allé jusque dans le Mississippi pour retrouver sa femme?», dit-il. Et les Anglais ont même accepté que certains reviennent à une condition?: qu'ils se contentent de rester isolés à la campagne, sans jamais rejoindre les centres urbains. Mais reconstruire sa cabane était mieux que rien. Avoir la sienne, tel est le but, encore, de nombreux nouveaux arrivants dans la région. Catherine et Lionel Rouanes, deux Bretons, l'ont fait. C'est Lionel qui a réalisé le gros oeuvre, pour la boulangerie, baptisée le Croissant Soleil, qu'ils ont ouverte en 2002 à Dieppe. Marina et Patrick Henderson, des Belges débarqués en 2005, sont allés plus loin?: c'est au fond d'un bois qu'ils ont construit, de leurs mains, après avoir défriché des hectares de terre, une maison en rondins, une chèvrerie et une fromagerie. Mohamed Ali Mkalla a préféré la ville et le commerce des saveurs du monde, avec sa boutique Blue Olive, à Dieppe. Tous ont connu des difficultés. Mais tous veulent rester. Il ne leur reste plus qu'à apprendre le chiac, ce français local mâtiné d'anglais, et dire «?j'ai drivé mon car?» ou «?je ne get rien?» pour être les nouveaux Acadiens de plein droit.
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