Rio +20 : L'avenir que nous voulons ?

Ce rassemblement, baptisé «Rio+20» en mémoire de l’événement fondamental que fut le Sommet de la Terre qui s’est déroulé dans cette même ville il y a vingt ans, a pour thème «L’avenir que nous voulons».Mais cet intitulé est selon nous trompeur car ce slogan donne l’impression d’en appeler à notre sens critique, à notre libre arbitre et à notre capacité de faire des choix délibérés. Comme si nous avions le choix! En effet, il ne s’agit pas ici de savoir si nous allons apprendre un jour à respecter les lois qui gouvernent la durabilité, mais de savoir quand nous allons commencer. En substance, de telles lois ne sont sujettes à aucun amendement: elles ne sont pas négociables. Nous parlons bien ici de ce qui se passe effectivement sur le terrain, et non pas d’une quelconque définition usée et édulcorée de la durabilité. La durabilité authentique n’a rien d’un concept arbitraire car on ne pourra l’atteindre que dans les limites biophysiques de notre planète. On ne peut tout simplement pas continuer à croître, consommer et polluer au rythme actuel sans que notre civilisation ne s’effondre. Il n’est donc pas possible de continuer sur cette voie. Pour que dix milliards d’êtres humains, voire plus, puissent jouir d’un niveau de vie qui ne ferait qu’approcher de ce que nous considérons comme acceptable (et nous ne parlons pas du style de vie luxueux dont nous ne savons plus nous passer en Occident), il faut que nous modifiions en profondeur notre façon de vivre et la manière dont nous conduisons nos affaires. J’imagine que la plupart d’entre nous, au fond de nous-mêmes, savons que ceci est inévitable, mais il est évident que nous préférons essayer de nous en sortir d’une manière ou d’une autre tout en pratiquant une forme de répression collective.En matière de thermodynamique, la Terre est un système fermé dans la mesure où elle échange de l’énergie avec l’espace, mais pas de la matière, du moins pas de manière significative. Ainsi, à long terme, nous ne pouvons que compter sur les ressources de notre planète, sauf si nous sommes prêts à considérer que la colonisation de l’espace est une alternative réaliste. Selon le Rapport Planète Vivante que vient de publier le WWF, notre empreinte écologique dépasse déjà de 50% l’aptitude de notre planète à se régénérer; si la tendance actuelle se poursuit, ce sont de deux planètes dont nous aurons besoin en 2050 pour satisfaire notre soif toujours croissante de ressources, et pour absorber nos déchets et notre pollution. Nous avons accumulé depuis des années une dette écologique qui fait pâlir celles des gouvernements; or la nature ne connaît pas les mesures de renflouement ou d’assouplissement monétaire. Lorsque nous aurons épuisé notre crédit environnemental, nous ne disposerons plus d’aucune facilité de crédit.Il nous faut absolument changer de cap dès maintenant et adopter enfin un mode de développement réellement durable; c’est d’ailleurs la conclusion à laquelle est arrivé le Sommet de la Terre de Rio il y a 20 ans, mais il n’y a rien de plus tragique que le fait qu’il n’ait été suivi d’aucune action significative. Nous devons commencer sans délai et sans tergiverser à satisfaire, par chacun de nos gestes, au moins aux exigences prescrites par le concept de la durabilité faible. «Faible », dans ce contexte, ne signifie pas «sans force» ni «non contraignant». Il s’agit en fait de trouver une alternative à la disparition continue de nos ressources non renouvelables. Le pétrole en est un exemple classique. Selon le concept de la durabilité faible, on peut qualifier de «durable» l’utilisation d’une ressource non renouvelable jusqu’à son épuisement si le bénéfice qu’on en retire est effectivement réinvesti dans l’invention d’un substitut adéquat qui permettra à l’avenir d’offrir le même niveau de service ou de consommation pour une durée indéterminée. Malheureusement, le monde dans lequel nous vivons présente une image différente. Les dollars issus de l\'industrie pétrolière finissent trop souvent dans les poches de régimes non démocratiques sans parvenir jusqu’aux pauvres, ou à peine, et sans être réinvestis dans des infrastructures faisant appel aux énergies renouvelables. Notons toutefois l’exemple du Fonds de retraite du gouvernement norvégien, précédemment (et plus prosaïquement) connu sous le nom de «Fonds pétrolier norvégien», qui a fait un pas dans la bonne direction.Créé à l’origine pour investir les recettes du pétrole de la mer du Nord dans d’autres actifs productifs pour le bénéfice des générations futures, ce fonds souverain s’efforce, d’une part, d’honorer la dimension intergénérationnelle de la durabilité et, d’autre part, de satisfaire aux principes de durabilité transgénérationnelle en intégrant des critères éthiques minimums à sa politique de placements et en engageant le débat avec des sociétés qui ne répondent pas aux attentes. C’est une initiative positive et nécessaire, mais elle est loin d’être suffisante. Seule une infime minorité de sociétés ont adopté des modèles de gestion réellement durables, tandis que l’immense majorité d’entre elles gardent un modèle fondamentalement incompatible avec des principes de base de la durabilité, bien qu’elles aient mis en œuvre toutes sortes de politiques en matière de responsabilité sociale d’entreprise et qu’elles restent donc sans difficulté investissables même pour un tel fonds.L’utilisation efficace des ressources est un concept clé de la transition vers un monde plus durable. Tous nos efforts de recherche et de développement doivent tendre vers «plus avec moins» dans tous les domaines. Le coût bien trop faible de l’eau, de l’énergie et des autres ressources naturelles nous pousse à les gaspiller, au détriment des générations futures. Nous devons cependant garder à l’esprit que l’efficacité, même si elle est importante, n’est qu’un premier pas. C’est une condition nécessaire à la durabilité, mais elle n’est pas suffisante. Si nous ne limitons pas absolument la portée de l’activité humaine, aucune mesure d’efficacité ne sera capable de nous sauver: elle ne fera que prolonger notre déclin. On sait que tout gain d’efficacité est rapidement annulé par une augmentation équivalente de la quantité de consommation absolue. Qui plus est, l’accroissement de l’efficacité peut même accélérer l’épuisement de la ressource qu’elle est censée protéger et épargner, parce que les améliorations d’efficacité se traduisent généralement par une réduction des coûts de production et nous poussent ainsi à consommer en plus grande quantité ce que nous avions décidé de préserver!Un tel effet pervers porte aussi le nom de «paradoxe de Jevons», d’après le nom de l’économiste britannique qui avait prédit, il y a plus d’un siècle et demi, que les mines de charbon anglaises s’épuiseraient rapidement si les coûts de production de la houille baissaient régulièrement et que son efficacité s’améliorait en permanence. Le fait que ce paradoxe se soit avéré faux à propos de la ressource sur laquelle il était basé ne signifie pas que son auteur ait eu tort ou que le principe ait été erroné. En effet, même si le charbon demeure de loin la ressource fossile la plus abondante dont nous disposions, il aura un jour une fin, à l’instar de toutes les autres ressources limitées. Et donc, dans ce cas, il ne s’agit pas d’un problème lié à l’abondance d’une matière première. Nous n’allons pas pouvoir extraire et brûler ne serait-ce qu’une fraction des réserves que le sol recèle encore sans accroître le réchauffement de notre planète et la rendre inhospitalière.L’«économie verte», l’objectif principal vers lequel Rio+20 est censé tendre, devra dans toute la mesure du possible être fondée sur le recours aux ressources et à l’énergie renouvelables. Pourquoi, par exemple, continuer à produire des plastiques et autres fibres artificielles à partir du pétrole et du charbon par des synthèses coûteuses en énergie et utilisant des produits chimiques polluants, si les forêts peuvent le faire non seulement gratuitement et sans pollution, mais également en filtrant l’air et l’eau et en absorbant le gaz carbonique de l’atmosphère? Mais attention! Toutes les solutions «vertes» ne sont pas nécessairement opportunes du point de vue de la durabilité. Il ne fait pas de sens d’utiliser de grandes quantités de combustibles fossiles par le biais de la mécanisation ou de la production de fertilisants artificiels et de produits chimiques afin de protéger les récoltes dans le but de produire du maïs et du soja destinés à nourrir le bétail, ou de faire rouler nos voitures dans un monde dans lequel un milliard d’êtres humains souffrent toujours de la faim. Les combustibles fossiles encore disponibles doivent être utilisés plus sagement et être préservés dans une large mesure afin de constituer un stock d’infrastructures durables qui nous permettront de capturer l’énergie solaire ou éolienne, ou les autres formes d’énergie issues d’autres ressources renouvelables et qui nous serviront indéfiniment.Nous devons faire face à des défis et à des transformations énormes et assurer également leur financement. C’est à ce stade que les placements durables jouent un rôle. Les caisses des gouvernements sont désespérément vides et ne leur permettront pas de supporter par eux-mêmes les investissements nécessaires. Cependant, ils peuvent faire tout ce qui est en leur pouvoir, et nul doute qu’ils le feront, pour rendre l’utilisation des ressources fossiles plus onéreuse tout en préservant l’utilisation durable des ressources renouvelables en mettant en place des incitations et des politiques appropriées qui forceront l’internalisation d’externalités nuisibles. Notre société ne peut tout simplement pas se permettre d’accepter que nos ressources les plus précieuses, telles que l’air, l’eau, le sol et la diversité biologique, puissent être continuellement dilapidées simplement parce que leur prix commercial ne reflète pas l’importance cruciale qu’elles revêtent pour la survie de notre propre espèce et de celles avec qui nous partageons notre planète.Les entreprises ne seront bientôt plus en mesure de choisir. Celles qui ne sauront pas adopter les nouvelles règles disparaîtront au cours d’un processus qui ne sera pas très différent de celui qui a conduit à l’extinction de nombreuses espèces de plantes et d’animaux et auquel elles ont probablement contribué. En revanche, celles qui comprendront qu\'elles doivent intégrer les différents aspects de la durabilité à leur processus décisionnel, et donc pas uniquement à leur rapport RSE, survivront et assureront leur prospérité. La prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance lors de nos décisions en matière de placement peut nous aider à comprendre à laquelle de ces deux catégories appartiennent les entreprises. C’est pourquoi le fait de contribuer au capital de celles qui agissent de manière responsable, dans les limites des ressources de notre planète et sans contracter de dette écologique que devront rembourser les générations futures, n’est pas seulement la seule chose juste à faire; elle constitue en outre, inévitablement, la stratégie de placement la plus rentable à long terme.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.