L'inconscient allemand et le « french bashing »

Les Français n\'ont guère le don des langues. Et quand ils en savent une, c\'est souvent celle de Shakespeare. Aussi sont-ils fort sensibles aux critiques émanant des médias britanniques et américains, comme la couverture récente de The Economist l\'a une nouvelle fois démontré. Mais s\'ils savaient aussi bien celle de Goethe, ils découvriraient que le «french bashing» a également une autre patrie : l\'Allemagne.«Grande Nation»?Déjà, cet été, Der Spiegel avait réalisé une série de portraits des pays en crise dans la zone euro. La France en était et, à la différence de celui sur l\'Italie, était clairement à charge. On y retrouvait la doxa habituelle des Allemands vis-à-vis de la France : la « Grande Nation » (comme s\'acharnent à écrire non sans ironie les journalistes allemands, ignorant que le terme est hors d\'usage de ce côté-ci du Rhin) déclassée et irréformable qui vit sur ses illusions. Malheureusement, l\'annonce de Moody\'s sur le triple A français est arrivée trop tard pour que les plumes de la presse allemande puissent entonner à nouveau cette chansonnette. Les rédactions allemandes bouclent tôt outre-Rhin, et le \"Ferienabend\", la fin de journée, c\'est chose sacrée. Ce sera donc pour demain matin.Editorial au vitriolPour se consoler, on pourra toujours se régaler avec un éditorial au vitriol paru lundi dans Die Welt, le quotidien dit « sérieux » du groupe Springer, et poétiquement titré « Du beaujolais et des baguettes dans la faillite de l\'Etat. » Son auteur, Marko Martin, ne pardonne rien à la France et ne lui laisse aucun espoir. Ce pays qu\'il qualifie de « quasi-socialiste » lui est visiblement insupportable. Son élite d\'abord, « unie dans son étatisme, ses initiatives de petits-bourgeois et son protectionnisme généralisé, qui sans vergogne sert une rhétorique anticapitaliste de « l\'égalité toujours » (en français dans le texte). » Une élite à qui, en passant, Marko Martin reproche beaucoup : l\'affaire du sang contaminé, le massacre des tutsis au Rwanda et l\'intérêt des Français pour les affaires de cœur d\'Arnaud de Montebourg (sic !) et de Nicolas Sarkozy.Louis Gallois traité de mi-bolchévique« Et pendant ce temps, résume Marko Martin, les exportations reculent, le chômage des jeunes explose, l\'antisémitisme se répand dans les banlieues, le système social s\'effondre et la banqueroute d\'Etat menace. » Même Louis Gallois ne trouve pas grâce aux yeux de l\'éditorialiste allemand. Celui qui «a mené une carrière de fonctionnaire grassement payé par l\'Etat » tient un discours « mi- bolchévique, mi-dandy qui convient parfaitement au domaine de l\'ennemi déclaré de la mondialisation, le ministre du Redressement productif, Arnaud de Montebourg (re-sic !). »« Jacasseries » et Amélie PoulainBref, la France est terminée, finie. Ses jeunes ne veulent être que fonctionnaires, sa structure est autoritaire, sa presse aux ordres, et sa société « emprisonnée dans un mode de jacasseries creuses » et qui s\'enferme dans le monde irréel d\'Amélie Poulain. Voici qui fait froid dans le dos. Qui voudrait d\'un tel pays comme partenaire ?C\'est du reste là le fond de la pensée de l\'éditorialiste qui commence son texte par une critique en règle des initiatives franco-allemandes « où l\'on a dépensé tant d\'argent du contribuable. » Ici, on ne peut que lui donner raison : à le lire, on voit mal en effet à quoi cet argent à servi. Tout ceci semble en effet illusoire et la lecture même brève ce matin des commentaires aux articles sur la perte du triple A est aussi éloquente que le commentaire de l\'institut économique patronal IW Köln, qui s\'interroge sur la \"capacité des Français\" à accepter les réformes. Les Français vont bientôt goûter les joies des critiques que l\'Allemagne réservait jusqu\'ici aux malheureux Grecs.Force est donc de constater que l\'incompréhension domine encore des deux côtés du Rhin et que, si les effets de la guerre en ont apaisé les effets durant deux ou trois générations, rien n\'est réglé. Un article comme celui de Marko Martin, aussi pertinent soit-il par ailleurs, perd de sa valeur par ce ton arrogant qui aurait pu naître sous la plume d\'un éditorialiste conservateur au temps de Guillaume II.Haine de soi?Il existe en allemand un mot qui traduit le sentiment qu\'éprouvent de nombreux Allemands à la vue des difficultés de leur voisin occidental : Schadenfreude. C\'est une joie que l\'on éprouve devant le malheur de l\'autre. Le mot n\'existe pas en français, mais il serait hardi d\'en tirer des conclusions. Pas plus qu\'on ne se hasardera à rappeler à Marko Martin que la société allemande a aussi ses handicaps : son vieillissement, son égoïsme, la corruption, l\'incompétence de ses élites (que l\'on se souviennent de l\'affaire Guttenberg) et, comme en France, ses passions stupides comme celle pour ce petit ours polaire, Knut, qui passionna le pays pendant des semaines voici quelques années. Une lecture quotidienne de Bild Zeitung suffit à rassurer le Français sur l\'état culturel de sa propre société.On ne se hasardera pas davantage à rappeler que l\'Allemagne est également en fâcheuse posture et que la chute de la France signifierait celle de la république fédérale. Ni que sa vision de la France est surtout celle de la France rêvée par les Allemands, où les ministres sont des aristocrates et où les habitants rêvent de boire du beaujolais et de vivre dans le monde d\'Amélie Poulain.Mais en revanche peut-être rappellera-t-on à Marko Martin, jadis journaliste pour le très « bolchévique » quotidien Taz qu\'il a vécu à Paris dans les années 1990 et qu\'il a collaboré à la revue de Bernard-Henri Levy La Règle du Jeu. Voilà qui est bien germanopratin et bien élitiste parisien, mein Herr ! La haine des autres est souvent bien proche de la haine de soi...
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