Comment combler notre retard dans les pays émergents

Le paradoxe n'est pas mince. Si l'on divise le monde en parts, non pas de marché mais d'estomac, les pays émergents sont une bouche béante à nourrir. La Chine représente à elle seule 22 % de la consommation alimentaire mondiale en volume, l'Inde 15 %, et l'ensemble des quatre Bric (en ajoutant le Brésil et la Russie aux deux premiers) 42,6 % ! À côté, le mastodonte américain ne pèse que 6,5 % et les trois premiers pays d'Europe (Allemagne, France et Royaume Uni) seulement 4 % à eux trois. Certes, les habitants des pays matures consomment des produits transformés et chers, mais la croissance y fait défaut.Pourtant, les fabricants mondiaux de produits de grande consommation (PGC) sont encore massivement tournés vers la seule Europe de l'Ouest. Avec 30 % et 36 % de leurs ventes dans cette zone, Unilever et Nestlé font figure de bons élèves. Mais derrière eux, L'Oréalcute;al (44 % de son chiffre d'affaires en Europe), Heineken (57 %) ou encore Danone (63 %) sont très en retard dans le reste du monde. « Ces chiffres diminueront très vite dans les années à venir car ces entreprises opèrent des virages très nets vers les émergents, l'Asie notamment », prévoit Olivier de Panafieu, partner en charge des PGC chez Roland Berger. En effet, les discours des dirigeants vont tous dans ce sens. Bob McDonald, le PDG de Procter & Gamble veut faire grossir sa cible de consommateurs de 4 à 5 milliards d'êtres humains d'ici à dix ans. Le directeur général de L'Oréalcute;al, Jean-Paul Agon, parle aussi d'un milliard d'accros aux cosmétiques supplémentaires avant 2020. Paul Bulcke chez Nestlé formule le même espoir.L'avantage pour les multinationales européennes (elles sont six sur les dix premiers fabricants mondiaux, à l'exclusion des géants du tabac) est d'être souvent plus « multilocales » que leurs concurrentes américaines. « Nestlé et L'Oréalcute;al effectuent un gros travail d'adaptation de leurs produits dans chaque pays, tandis que Coca-Cola ou même Procter ont plus tendance à vendre leurs mêmes grandes marques partout », continue Olivier de Panafieu. Chez Nestlé par exemple, 98 % des produits maison consommés en Chine sont issus des 22 usines du groupe réparties dans le pays. Et acheter un Kit Kat là-bas risque de troubler plus d'un Européen car la barre chocolatée y est aromatisée au thé vert ou aux haricots rouges et vendue 7 centimes d'euro pièce. Ces produits abordables, baptisés PPP (produit à positionnement populaire) représentent 12 % du chiffre d'affaires de Nestlé en Chine mais progressent de 40 %.Malheureusement, les géants mondiaux issus des contrées anciennes ne sont plus les seuls à vouloir conquérir les émergents. Plusieurs groupes locaux veulent aussi leur part du gâteau. Comme le sucrier Cosan au Brésil, le brasseur Tsingtao en Chine ou encore le conglomérat du riz, du malt ou de l'huile, China Agri-industries en Chine. Du coup, au lieu de se concentrer, le secteur se déconsolide. Alors qu'en 2000, les 10 premiers groupes représentaient 52 % des 839 milliards d'euros de chiffre d'affaires du secteur, en 2009, ils ne pèsent plus que 40 % des 1.729 milliards du marché des PGC.Pourtant, les grandes marques ont une vraie carte à jouer. Car si, dans les pays dits matures, la concurrence des marques de distributeur est très rude (41 % des ventes en Angleterre, 30 % en France, 33 % en Allemagne), celles-ci sont quasiment absentes des émergents : 4 % en Chine, 3 % en Russie mais déjà 11 % en Inde. Dans ces pays, les consommateurs sont encore du genre flambeurs et aiment poser des marques sur leurs tables. Surtout, la grande distribution est encore loin d'avoir tissé un réseau suffisamment dense. La surface d'hypermarché, supermarché, hard discount et cash and carry pour 1.000 habitants est de 15 m2 au Brésil, 5 m2 en Chine et 1 m2 en Inde, alors qu'elle grimpe à 150 m2 en France et au Royaume-Uni et qu'elle dépasse les 250 en Allemagne !C'est le point noir des multinationales. Devoir livrer leurs marchandises au fin fond des campagnes et des villes tentaculaires, dans des « pop and mom shops », qui ne disposent souvent d'aucun moyen moderne : réserve, étagères propres, meubles froids. Le trajet du produit est très long. Le fabricant livre au grossiste ou à l'importateur, qui passe par des dealers locaux, qui eux-mêmes proposent quelques produits à l'unité à l'épicerie familiale. Chacun se sucrant au passage. En Chine, par exemple, la distribution organisée ne représente que 15 % des ventes totales de PGC. Du coup, 500 millions de consommateurs nippons échappent encore à Nestlé. Mais tout cela risque de ne pas durer très longtemps. « En Europe, le cycle de développement des grandes marques, puis des hypermarchés et de leurs marques propres, a pris trente-cinq ans. Dans les émergents, le même cycle ne devrait pas durer plus de dix ans », estime Olivier de Panafieu. La distribution progresse en effet au même rythme que l'ensemble de l'économie de ces pays. À vos marques... !
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