Bernanke au pays des merveilles

Avec l'annonce de la poursuite du « quantitative easing », la Fed a lancé le tube de l'automne. Sur l'air de « après tout, un peu d'inflation, c'est peut-être la solution », la cohorte des partisans déclarés de la création monétaire pour résorber la dette himalayenne accumulée en Occident grossit de jour en jour. Peu importe si certains d'entre eux ne juraient hier que par Milton Friedman.Voire ! Dans un monde financier globalisé, il y a loin de la coupe aux lèvres. Nul ne maîtrise en effet le comportement et les anticipations des agents, et les paradoxes ne manquent pas. D'abord, il n'est pas évident que la création monétaire se transmette là où elle serait souhaitée, c'est-à-dire dans la poche des ménages et sur l'investissement des entreprises. Pour preuve, en un mois, le taux des crédits hypothécaires aux États-Unis s'est tendu (+ 0,3 point) renchérissant les mensualités de 2,3 %, ce qui n'améliore pas le pouvoir d'achat. Plus généralement, les taux longs américains ont nettement crû : 2,92 % le 19 novembre sur l'échéance à 10 ans, contre 2,47 % au mois d'août. Et même à taux bas, les ménages sont plutôt enclins à réduire leur endettement (« deleveraging »). Enfin, l'abondance de liquidités pousse les gestionnaires à chercher du rendement sur des classes d'actifs spéculatifs et entraîne des effets d'aubaine : loin d'emprunter pour investir, les sociétés les mieux notées profitent des taux bas pour racheter leurs propres actions, tandis que les autres, moins bien notées, peinent à s'endetter car les banques restent frileuses. On pourrait donc avoir concomitamment un effet nul voire négatif sur les conditions du crédit aux entreprises moyennes et aux ménages, une formation de bulles par sous-estimation du risque sur certains actifs et une hausse du coût de la vie, non compensée, vu l'état du marché du travail, par des hausses de salaires.Et puis, présenter l'inflation comme une solution, c'est vanter l'effet relaxant de l'opium sans évoquer ses effets secondaires. Impôt aveugle qui ne dit pas son nom, elle est notoirement injuste, et il est loin le temps où Keynes pouvait dire qu'elle « euthanasiait les rentiers » : l'économie ouverte permet aux gros patrimoines de s'en prémunir. En France, une étude du Crédoc a montré qu'elle frappe plus durement les catégories les plus modestes. Anticipations inflationnistes et liquidités surabondantes conjuguées à une offre mal répartie poussent l'immobilier à la hausse, et cela constitue un facteur majeur de stress pour les classes moyennes et modestes, dont la part du budget consacrée au logement a été multipliée par 2,5 entre 1960 et 2010. La potion risque donc d'être amère.Jacques Delpla, membre du Conseil d'analyse économique, disait récemment dans « La Tribune » préférer, pour dégonfler la bulle de dette, un vaste « debt to equity swap » consistant à imputer les pertes aux créanciers et actionnaires, qui se sont largement enrichis avant 2008. C'est très juste, et ajoutons qu'il suffirait de prélever, une seule fois, 5 % de la fortune des 10 % d'Européens les plus riches (qui détiennent un patrimoine de 41.000 milliards de dollars) pour ramener la dette publique de l'Union européenne à 60 % du PIB. Cependant, c'est tellement utopique que même le dernier candidat déclaré aux primaires du PS préfère l'inflation, qui touche pourtant en priorité son électorat. Difficile d'être révolutionnaire à notre époque.Au final, nul ne sait où mènera la politique de la Fed, mais il est bien trop tôt pour en faire une panacée. Nous vivons une ère « non conventionnelle » où les repères habituels sont bouleversés, comme dans l'univers étrange de Lewis Carroll. « As-tu trouvé la réponse au problème ? » lance un personnage à Alice. « Non, j'y renonce. Quelle est la réponse ? » ? « Je n'en ai pas la moindre idée ! »ParOlivier Lecomte professeur de finances à Centrale Paris
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