Les deux visages du miracle allemand :

Dans le centre de Bremerhaven trône un vieux voilier pour rappeler que la ville fut jadis la capitale allemande de la pêche au gros. Ces temps sont pourtant bien finis. Le dernier navire de pêche de la ville a été cédé en 1991 et, depuis une trentaine d'années, le port à l'embouchure de la Weser a dû faire face à une succession d'autres coups durs pour son économie. Notamment la très violente crise des chantiers navals et le départ des Américains qui, après la guerre, s'étaient réservés cette enclave en zone d'occupation britannique pour héberger leur flotte de guerre. Tout cela laisse encore des traces aujourd'hui. Le taux de chômage de la ville de Bremerhaven est un des plus élevés d'Allemagne. En février, il atteignait 17,7 % de la population active, un record à l'Ouest et un niveau qui n'est dépassé à l'Est que dans quelques régions du Mecklembourg. Surtout, la tendance est inquiétante : en un an, le taux de chômage à Bremerhaven a progressé de 1,9 point, à contre-courant du « miracle de l'emploi » qui règne dans le pays.Les responsables politiques et économiques de la ville ne veulent pourtant rien entendre. « 2010 a été une excellente année pour l'économie locale », assure le président de la chambre de commerce et d'industrie locale, Michael Stark. Et d'évoquer un effet sur l'emploi simplement « retardé », à cause notamment du décalage de la reprise sur l'activité portuaire. Une rapide visite du quatrième port de conteneurs d'Europe, débouché de la production automobile allemande, ferait en effet presque oublier les chiffres du chômage. Des véhicules de tout genre s'accumulent sur les quais pendant des kilomètres. Les Audi, BMW ou Mercedes doivent souvent patienter sur les trains qui les ont amenés. « Nous manquons de place », reconnaît Uwe Kiupel, le responsable de la communication de l'établissement municipal du développement économique, le BIS. La reprise est donc aussi présente à Bremerhaven. Une visite à l'autre extrémité de la ville, près de l'ancien port de pêche, le confirme. Sur des terrains acquis par le Land et la ville est née une zone industrielle dédiée presque entièrement à la construction d'éoliennes offshore. Quatre entreprises, dont le français Areva, y fabriquent des géants destinés à capter au large le puissant vent de la mer du Nord. L'activité y est frénétique : les équipements s'entassent devant des hangars démesurés que l'on continue à construire. Uwe Kiupel compte beaucoup sur ce secteur et la ville prévoit la construction, sur la Weser, d'un terminal portuaire spécifique pour la taille des éoliennes offshore dès 2014. Le chantier est immense et complexe, mais l'enjeu déterminant. Selon les projections de la ville, l'éolien pourrait employer 10.000 personnes en 2040, contre 1.600 actuellement.Dans le centre, près de la rive, la volonté de Bremerhaven de conjurer son déclin est aussi visible : la ville a misé sur le tourisme. Des musées flambant neufs se dressent un peu partout : le musée allemand de l'Émigration rappelle que partirent d'ici nombre d'Européens pour peupler le continent américain ; et la Maison du climat jouxtant le centre commercial Mediterraneo imite une rue d'une ville italienne. « L'image de la ville a beaucoup changé et nous avons franchi, l'an passé, la barre du million de visiteurs », se réjouit Michael Stark qui attend beaucoup de la reprise de la demande intérieure outre-Rhin pour accélérer le mouvement. On serait donc tenté de donner raison à Uwe Kiupel qui voit dans sa ville « un exemple de reconversion réussie ». Tout le monde, sur les bords de la Weser se souvient avec satisfaction de l'état de désolation où était la ville au début des années 2000, quand le chômage dépassait les 25 %.Mais tout est loin d'aller pour le mieux. Il suffit de s'enfoncer dans les quartiers nord, celui de Lehe notamment, pour prendre conscience des difficultés qui persistent. Anja Mengel dirige l'AfZ, un organisme d'aide au retour à l'emploi, dans le quartier. Elle ne cache pas, malgré les améliorations palpables, que « Lehe est très défavorisé ». Autour du bel immeuble rénové de l'AfZ, l'habitat est désolé, la végétation déborde des fréquents terrains vagues, les commerces sont rares. Le journal du quartier, le « Lehe Blatt », présente l'ouverture d'une première librairie comme une immense victoire. À l'association d'aide sociale Der Paritätische, on évoque la pauvreté des enfants, la ghettoïsation des personnes issues de l'immigration, le désespoir de certains. La plaie de Lehe, c'est le chômage de longue durée. Le taux de demandeurs d'emploi inscrits depuis plus d'un an est de 15,3 % de la population active dans tout Bremerhaven. « Il arrive de rencontrer des gens qui n'ont pas travaillé depuis six ans », reconnaît Anja Mengel. Embauchés sur des postes précaires, ils ont été les premières victimes de la crise : leur nombre a augmenté de 2,5 % en un an à Bremerhaven. « Les chômeurs de longue durée n'ont pas vraiment profité des nouvelles activités issues de la reconversion, faute de qualifications », remarque Johannes Frandsen, membre du conseil d'administration régional du Paritätische. Anja Mengel reconnaît aussi qu'il faut beaucoup de temps et d'argent pour réinsérer ces chômeurs. Or, dans le plan de rigueur du gouvernement Merkel, le soutien aux chômeurs de longue durée a été le premier budget sacrifié. « En réduisant notre subvention de 30 %, le gouvernement nous oblige soit à réduire le nombre de personnes aidées, soit à diminuer la durée de l'aide ; dans les deux cas, c'est très préoccupant pour la ville », résume Anja Mengel qui déplore la méthode de réduction comptable de Berlin, sans tenir compte des réalités du terrain. « Il est nécessaire qu'il y ait des compensations à la structure sociale particulière de la ville », remarque Johannes Frandsen pour qui « on ne peut plus se permettre de laisser ces gens en dehors de la vie active ». Car, à Bremerhaven comme ailleurs, la bombe démographique est enclenchée, aggravée par l'exode social. La ville a perdu 30.000 habitants en vingt ans. « Nous allons manquer de main-d'oeuvre et nous avons besoin de nouveaux habitants », note Michael Stark. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes au moment où les possibilités de reconversion des chômeurs sont passées au tamis de la rigueur fédérale.Romaric God
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