Un « Chapter 11 » pour les États

Le monde va quitter sur la pointe des pieds et non sans un certain soulagement, le 31 décembre prochain, les années 2000, pour basculer dans une nouvelle décennie qui sera sans doute encore plus incertaine. Né avec le 11 septembre 2001, le siècle a déjà traversé l'éclatement de deux bulles financières, celle des technologies-télécoms et celle de l'immobilier américain, et tout semble indiquer, avec la crise de la dette souveraine et la politique de fuite en avant de la banque centrale américaine, qu'une troisième crise, peut-être plus grave encore que les précédentes, pointe à l'horizon.En Europe, la mère de toutes les batailles est engagée entre la politique et les marchés avec comme enjeu rien moins que la survie de l'euro et avec lui, celui de notre mode de vie. Après la Grèce et l'Irlande, les regards se tournent vers les autres maillons faibles, Portugal, Espagne, Italie peut-être, voire la France, dont les gouvernements affrontent une impopularité grandissante parce qu'ils tentent par un virage brutal vers l'austérité budgétaire de préserver leur souveraineté financière. L'instabilité financière et politique menace la zone euro dans un climat de montée du populisme et de tensions protectionnistes.La question est simple : les peuples des pays encore notés triple A accepteront-ils encore longtemps de payer pour sauver les créanciers des pays qui ont triché ou laissé libre court à la spéculation bancaire et immobilière ? En Allemagne surtout, Angela Merkel affronte une opinion de plus en plus hostile et aggrave la tension des marchés en affirmant que les créanciers privés devront prendre leur part de l'effort.Plus le temps passe, plus le risque d'un défaut de paiement d'un État européen augmente, malgré la digue du Fonds européen de soutien et du FMI. Le piège est plus que parfait : pour sortir, le plus vite possible, du surendettement avant d'être rattrapés par la hausse des taux d'intérêt qui finira bien par se produire, les États mènent à marche forcée une politique d'austérité qui, en menaçant de les faire replonger dans la récession, accentue la pression des investisseurs, lesquels font monter les primes de risque. Le chantage des marchés est gagnant-gagnant, sur le mode « vous n'avez pas d'autre choix que de soutenir les pays fragiles sinon, ce sera la catastrophe, la fin de l'euro, l'explosion de votre modèle social et démocratique et l'accélération du déclin de l'Europe ».Pour échapper à ce scénario de « free lunch » sur les marchés, la seule solution raisonnable, évoquée par certains économistes encore minoritaires, serait d'organiser un mécanisme de faillite ordonnée pour les États, une sorte de Chapter 11 du risque souverain qui renverrait une partie du risque financier vers les créanciers privés, au lieu de les mettre à la seule charge des contribuables. Pour réussir, sans provoquer une panique type Lehman Brothers, cette faillite ordonnée devrait bien sûr être accompagnée d'un plan de redressement préparé à l'avance, en coordination avec les autres pays de la zone euro, propose Daniel Gros, le directeur du CEPS, le « think tank » européen qui avait déjà, l'hiver dernier, été à l'origine de l'idée du Fonds monétaire européen. Après tout, pourquoi ce qui a marché pour General Motors ne fonctionnerait-il pas pour la Grèce ou l'Irlande ? La seule raison pour laquelle l'idée est aujourd'hui exclue est qu'elle n'est pas dans l'intérêt des banquiers qui, après avoir encaissé une marge considérable sur le dos des États concernés en profitant de taux de refinancement anormalement bas, refusent de passer à la caisse. Il est vrai que, dans certains cas, le serpent (monétaire) se mord la queue, à l'image des banques britanniques, très exposées au risque irlandais, mais à moitié nationalisées, ce qui veut dire que c'est le contribuable britannique qui essuierait les pertes...ParPhilippe Mabille Rédacteur en chef et éditorialiste
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