La catharsis japonaise

 Voilà environ cinq ans que l\'orthodoxie paralyse toute reprise économique et que le politiquement correct tétanise les banques centrales. Le chômage très élevé - qui ira en s\'aggravant en 2013 dans un pays comme la France - n\'y change rien. L\'obsession des déficits et l\'angoisse face aux expéditions punitives des marchés unissent les meilleurs adversaires - droite comme gauche - dans un même combat contre un ennemi commun, quoiqu\'imaginaire, à savoir l\'inflation ! Rien ne doit être entrepris pour attiser l\'inflation, et tout doit être sacrifié à l\'aune de l\'austérité. Car il est dit que nous serons un jour récompensés en retour : dans cette vie, ou plus vraisemblablement dans l\'autre... Une nation majeure - le Japon - vient cependant de trouver le cran de rompre ce consensus touchant. En décidant d\'aborder le problème par le bon bout tout en identifiant enfin ses vraies priorités. C\'est en effet bien avant que notre monde occidental ne sombre, dès 2007, que la répétition générale de notre crise économique fit des ravages dans ce pays. Tardives et timorées furent pourtant les réactions et mesures des gouvernements qui s\'y succédèrent depuis l\'implosion - au début des années 90 - de ses marchés immobilier et boursier. Bridés par le dogme néo-libéral qui considère les déficits à l\'égal de l\'Antéchrist, les dirigeants nippons commirent systématiquement l\'erreur puérile de réduire leurs dépenses publiques avant que la reprise économique en cours ne soit suffisamment solide. Pour laisser la place à un régime chronique déflationniste qui devait régner en maître dès la fin des années 90.Sursaut nationalUn homme - Shinzo Abe - qui vient d\'être élu Premier Ministre de ce pays avec une majorité écrasante vient néanmoins de décider de mettre en place une « politique monétaire audacieuse, une politique budgétaire flexible et une stratégie pour encourager l\'investissement privé », pour reprendre les termes de son communiqué à l\'issue de sa victoire aux élections. La séquence de l\'arrivée au pouvoir de cet homme peu conventionnel, comme du changement radical d\'approche pour remédier à ce mal endémique qu\'est la déflation, ne doit pourtant rien au hasard. En effet, pour la première fois depuis 1980, la balance commerciale de ce pays est très clairement déficitaire ! Si le déficit budgétaire nippon était effectivement toléré par les citoyens et par l\'élite de ce pays, tout comme l\'était jusque là l\'anémie de sa conjoncture économique. S\'il importait peu après tout que la dette publique japonaise se monte à 230% du P.I.B. national (ce chiffre étant à 110% aux U.S.A.), car détenue à 85% par des nationaux. Le fait que le Japon ne soit plus une nation créditrice et que les japonais commencent à devoir de l\'argent à des créanciers étrangers a provoqué un sursaut national, intelligemment exploité par Monsieur Abe, qui a promis de transformer les déficits de son pays en excédents.La Banque du Japon doit jouer son rôlePour atteindre cet objectif, le nouveau gouvernement nippon a impérativement besoin de la coopération sans faille de sa banque centrale - la Banque du Japon - qui s\'est révélée pour le moins défaillante dans sa lutte contre la déflation, comme contre l\'appréciation gigantesque de sa monnaie - le Yen - ayant vu sa valeur doubler depuis le début des années 90 ! Voilà donc les fondements de cette nouvelle politique japonaise dont l\' « audace » consistera à affaiblir le Yen et à induire une reflation salutaire dans l\'économie grâce au levier de baisses de taux quantitatives dignes de ce nom. Pourquoi préserver l\'indépendance de banquiers centraux - personnages qui se retrouvent à des postes stratégiques de première importance sans bénéficier du suffrage populaire - si ceux-ci refusent de mettre leurs munitions à disposition de la croissance économique, sous le prétexte fallacieux de la lutte contre l\'inflation ? Comme la politique monétaire d\'une nation ainsi que le niveau de sa monnaie nationale doivent être mis au service de l\'activité et de l\'emploi, il est donc naturel que ce soient les dirigeants politiques - élus - qui en aient le contrôle.Un exemple pour l\'Europe en criseLa plate-forme de Shinzo Abe consistant précisément en une création monétaire intensive qui permettra également l\'affaiblissement du Yen, et autorisera du même coup la relance des exportations japonaises. D\'où le programme de stimuli tout récemment décrété par Abe et qui atteindra l\'équivalent de 10.3 trillions de yens, ou 116 milliards de dollars. Montant impressionnant qui produira immanquablement des résultats positifs sur le front de la lutte contre la déflation, particulièrement en regard des données démographiques japonaises peu encourageantes. Puisse l\'exemple japonais inspirer nos responsables économiques et monétaires européens car l\'expérience nippone - l\'actuelle avec Abe mais également celle des « décennies perdues » - démontre l\'impérieuse nécessité de mesures déterminées et énergiques pour lutter contre la récession. Qui produisent d\'ores et déjà des résultats notables, puisque le Yen a largement entamé sa dépréciation et qu\'un vent d\'optimisme s\'installe progressivement sur l\'économie et sur les investissements dans ce pays.Le Japon, largement étudié et analysé pour sa déflation et pour l\'implosion dramatique de ses bulles spéculatives, sera-t-il un jour cité en exemple pour sa volte-face contre l\'orthodoxie ?*Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l\'IFRI et est membre de l\'O.N.G. « Finance Watch ». Il est aussi l\'auteur de l\'ouvrage \"Splendeurs et misères du libéralisme\"
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