Se réinterroger sur la monnaie, pour comprendre la crise

Point de vueL'économie politique depuis deux siècles s'interroge inlassablement sur la croissance et la monnaie. Le plus souvent, en séparant les deux sujets, mais parfois, comme une tentative particulièrement audacieuse, on essaye de rapprocher le monde physique des flux financiers. Demeure l'idée, chez tous, que la monnaie est plus qu'un simple fluide qui permet aux échanges de se faire, qu'elle joue un rôle majeur dans les conjonctures économiques et qu'elle est souvent au coeur des dysfonctionnements, des chocs, des crises. D'où l'importance du constat aujourd'hui, de l'abondance, au niveau mondial, de liquidités et évidemment des mécanismes nouveaux de leur création. C'est là toute l'extraordinaire ambition de l'ouvrage de Jean-François Serval et Jean-Pascal Tranié (*), de se réinterroger sur la monnaie, de tenter d'en donner une nouvelle définition pour mieux saisir les origines de la crise financière et de proposer une maîtrise adaptée à notre temps de la création monétaire. En fait, ce livre vient en écho à une formidable querelle intellectuelle du XIXe siècle qui opposa pendant des décennies les plus grands économistes de leur temps, deux écoles de pensée exceptionnelles, la « banking » et la « currency school ». Tout y était déjà, la définition de la monnaie avec ses composantes métalliques et papier, les déséquilibres commerciaux ; en fait ce débat était une sorte de préfiguration de la période actuelle, celle que nos deux auteurs décrivent si bien.Ricardo fut au coeur de cette discussion. Et sa préoccupation portait sur l'inflation postguerres napoléoniennes. Il pensait qu'une monnaie mixte doit varier de manière strictement équivalente à celle d'une monnaie purement métallique. Le débat démarre en 1821 lorsque le remboursement du papier en pièce d'or reprit. Et donc là, la question se posa de savoir si cette convertibilité suffisait à réguler la quantité de monnaie. D'où la querelle. Ce qu'on appelait la « currency school » souhaitait une émission contrôlée des billets alors que la « banking school », elle, pensait que l'obligation de convertibilité entraînerait obligatoirement la régulation de l'émission monétaire.Pendant un demi-siècle, tous les arguments allaient être échangés et l'on y trouvait fondamentalement cette interrogation si actuelle : la diversité des formes monétaires doit-elle entraîner une régulation nouvelle et stricte de l'émission de papiers de la part de la banque centrale ? C'est exactement à ce problème que nos deux auteurs vont s'affronter, en mettant en lumière le fait que la monnaie aujourd'hui a une définition beaucoup plus large que celle qui est traditionnellement utilisée. Tout doit donc être pensé à travers une appréhension rigoureuse de l'agrégat monétaire et une organisation du contrôle de sa croissance adaptée à sa nouvelle complexité. L'originalité et la force du livre reposent sur cette vraie rupture intellectuelle. Pour eux, on doit désormais raisonner à partir d'un agrégat repensé, M5, comprenant l'ensemble des éléments du patrimoine ayant une contrepartie. Le débat peut alors s'ouvrir sur cette nouvelle approche si complexe à mettre en oeuvre. Il est clair que cela va bouleverser nos habitudes de réflexion, car il n'y a pas de doute que la dématérialisation des échanges et la capacité de titrisation de la part des banques conduisent obligatoirement à réfuter le fait que le contrôle de la monnaie traditionnelle puisse se suffire à lui-même. Dans cette démarche-là, nos deux auteurs ont aussi pensé que la mise en place des nouvelles normes IFRS était source d'une création monétaire complémentaire du fait de la réévaluation des bilans liés à la juste valeur. On peut avoir quelques distances sur leurs conclusions. Mais peu importe, ils ont avec un grand talent remis la question monétaire au centre du débat, imaginé que la mesure de cette monnaie se ferait à partir de la comptabilité des entreprises, et évidemment exigé que les normes comptables abandonnent la comptabilité en juste valeur. Le débat est lancé. Les grandes banques centrales doivent s'en emparer. Nos auteurs sont les dignes successeurs de Ricardo, Thornton et autres Stuart Mill. (*) « La monnaie virtuelle qui nous fait vivre », Éditions Eyrolles, 2011.
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