Danser jusqu'à ce que la musique s'arrête...

Il n'a pas fait cette fois de gaffes susceptibles de déstabiliser les marchés. Mais dans l'exercice de la conférence de presse (il en tiendra désormais quatre par an pour mieux expliquer la politique monétaire américaine, qui en a grand besoin...), Ben Bernanke, président de la Fed, ne nous a pas non plus appris grand-chose sur sa stratégie de sortie de crise : la politique d'achats de bons du Trésor s'achèvera comme prévu fin juin, lorsque la banque centrale aura mené à terme le programme dit QE2 démarré en novembre ; les taux d'intérêt, proches de zéro depuis 2008, resteront inchangés pour une « longue période », indéterminée à ce jour.La Réserve fédérale américaine keynésienne se montre beaucoup moins inquiète que la très orthodoxe Banque centrale européenne sur les risques inflationnistes provoqués par la flambée des prix du pétrole et des matières premières. L'urgence reste à soutenir la croissance, chancelante au premier trimestre, et l'emploi, qui redémarre très lentement. Tout cela est très bien, à condition que le pari de la Fed soit le bon, à savoir que l'inflation reste maîtrisée à moyen terme. Or rien ne prouve que ce soit le cas. Pour nombre d'analystes sur les marchés, la Fed ne fait qu'acheter du temps, une fois de plus, ce qui, comme chacun sait, finit toujours par se payer cash et coûter cher.Dans le film « Inside Job », l'un des nombreux financiers interrogés sur la crise des subprimes raconte que les acteurs du drame savaient tous qu'un jour tout cela finirait mal, mais que le capitalisme est ainsi fait que tout le monde a intérêt à « continuer de danser jusqu'à ce que la musique stoppe ». Ben Bernanke, qui est probablement l'un des meilleurs connaisseurs de la crise des années 1930, sur laquelle il a consacré des années de recherches, est-il l'homme de la situation pour tirer l'Amérique, et donc le monde, de la crise ? Plus le temps passe, et plus la confiance dans la capacité de la Réserve fédérale à gérer la sortie se fissure. Au point que beaucoup la voient désormais condamnée au taux zéro à perpétuité !Stephen Roach, l'économiste Asie de Morgan Stanley, a comparé le « quantitative easing » à « un remake de la crise des subprimes ». D'autres, cités par la journaliste suisse Myret Zaki dans son livre sur la fin du dollar, voient dans le gonflement sans fin du bilan de la Fed l'origine de la plus grande bulle spéculative de l'histoire. Passé de 800 milliards de dollars avant la crise de 2008 à 2.700 milliards aujourd'hui, le bilan de la banque centrale américaine approchera les 3.000 milliards à la fin juin. Une situation intenable d'autant que la qualité des actifs s'est tellement détériorée que la Fed a dû modifier son système comptable pour masquer les pertes des crédits hypothécaires qu'elle détient (et que la poursuite de la baisse du prix des logements ne risque pas d'améliorer). Cette situation n'est certainement pas pour rien dans la menace qui plane désormais sur la note AAA des États-Unis. Entre la faillite de nombreux États, le blocage politique sur le budget fédéral et le risque de faillite de la Fed, on parle désormais des « distressed states of America »...En fait, Ben Bernanke se retrouve dans la pire situation pour un banquier central : celui d'un pendu condamné à « pousser sur une corde », ce qui, chacun sait, n'a aucun effet. Quand une banque centrale essaie d'offrir plus de monnaie qu'il n'est demandé, dans le seul but de soutenir l'économie, elle donne aux autres agents économiques la possibilité presque infinie de s'enrichir à ses dépens et en toute sécurité. Pourtant, Bernanke refuse toute responsabilité dans l'inflation mondiale du prix des actifs et des matières premières, alors que, à lire les commentaires après sa conférence de presse, les investisseurs du monde entier ont déduit de ses propos qu'ils pouvaient continuer, en toute impunité, à vendre du dollar, à faire monter l'or et le pétrole et à acheter des actifs risqués. Tant que le musicien joue, les pendus que nous sommes peuvent continuer à danser...
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