Les éternels sacrifiés de la politique fiscale

Le projet de budget pour 2010, présenté demain en Conseil des ministres, donnera sans doute lieu à des commentaires convenus sur la politique fiscale conduite par Nicolas Sarkozy. N'a-t-on pas déjà tout dit sur la réforme de la taxe professionnelle, qui favorise l'industrie, comme le voulait le chef de l'État, et l'instauration d'une fiscalité écologique, via la taxe carbone ? La gauche n'hésitera pas à caricaturer les décisions prises. Beaucoup de citoyens auront la tentation, eux, de laisser cette matière si complexe aux seuls techniciens. Au risque de passer à côté d'enjeux éminemment politiques : Qui doit payer l'impôt et à quelle hauteur ? Voilà une question qui n'a rien de technique.Avant d'esquisser la fiscalité idéale, il serait bon de savoir comment elle est répartie aujourd'hui. Or l'appareil statistique français, si développé soit-il, n'offre aucune synthèse sur le sujet. L'étude publiée récemment par le « think tank » Terra Nova (proche du PS) a le mérite de tenter une première analyse. Au-delà de la thématique habituelle des socialistes sur les « cadeaux aux riches », elle conclut notamment que les classes moyennes ont été les sacrifiées de la politique fiscale depuis le début des années 2000.Le terme de classe moyenne prête bien sûr à discussion. Les 60 % de ménages du milieu de la distribution des revenus constituent bien le c?ur de cette catégorie (en excluant donc les 20 % les plus pauvres et les 20 % les plus riches des ménages). Comment a évolué la charge fiscale de ces Français ? Ils ont sans doute un peu bénéficié des baisses de l'impôt sur le revenu (IR) qui se sont succédé depuis une dizaine d'années. Mais beaucoup moins qu'on ne le pense. Tout simplement parce qu'ils n'en paient pas ou peu. On oublie souvent l'extrême concentration de l'IR : les 10 % de foyers les plus aisés paient les trois quarts du total de l'impôt sur le revenu perçu par le fisc, tandis que les 20 % de ménages les plus riches s'acquittent de? 90 % du total. En revanche, les classes moyennes prennent de plein fouet l'augmentation de la fiscalité locale. Depuis 2002, son poids dans le PIB s'est accru de près d'un point (passant de 4,9 % à 5,8 % du PIB). Les recettes de la taxe d'habitation augmentent notamment de façon exponentielle : les ressources perçues à ce titre par les collectivités ont été multipliées par 11 depuis 1980? Le mouvement s'accélère actuellement, avec une hausse de près de 6 % cette année.Bien sûr, le gouvernement affirme n'être pour rien dans des décisions prises par une multitude d'élus locaux. Mais nul ne doute que les charges diverses transférées ces dernières années aux collectivités ne sont jamais parfaitement compensées par des recettes correspondantes, du moins à terme. D'où une hausse de la fiscalité locale, imputable au moins pour partie aux gouvernements successifs. Outre qu'ils sont obsolètes et largement fraudés, les impôts locaux sur les particuliers ont pour caractéristique d'être dégressifs : leur poids dans le revenu diminue à mesure que celui-ci augmente. Le sujet est donc moins préoccupant pour les « riches ». Quant aux ménages les plus modestes, ils y échappent souvent, grâce à des systèmes de dégrèvement en fonction du revenu. Les classes moyennes se retrouvent donc en première ligne?Elles ont en outre dû s'acquitter des prélèvements sociaux décidés notamment par le gouvernement Raffarin, dont une hausse déguisée de la CSG (à travers un élargissement de la base imposable). Seule décision récente en faveur des classes moyennes, la suppression cette année du dernier tiers de l'impôt sur le revenu pour les ménages relevant de la première tranche de l'impôt sur le revenu. Une mince compensation, en regard des autres alourdissements de prélèvements obligatoires. D'autant que la taxe carbone frappera une bonne partie de la classe moyenne, celle des « urbains » habitant en maisons individuelles et contraints d'utiliser leur voiture pour les trajets domicile-travail.Cet état des lieux a de quoi surprendre. Comment des gouvernements peuvent-ils ainsi laisser de côté, voire sacrifier, la majeure partie de la population, et donc des électeurs ? S'agissant de la fiscalité locale, la tentation gouvernementale est grande de dénoncer l'incurie des collectivités locales. Elle l'est encore plus quand celles-ci sont dirigées par la gauche, le discours pouvant alors se résumer à : « Nous ne sommes pour rien dans ces hausses d'impôts, ce sont ces socialistes qui ne savent pas gérer. » Un discours de moins en moins convaincant. nAnalyse Ivan Best Rédacteur en chef adjoint, service France, « La Tribune ».
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