Le modèle de santé français : un échec ?

«Casse-tête budgétaire, imbroglio administratif, patate chaude politique… depuis quelques années, le gouvernement français assiste - impuissant - au déclin de son système de santé. (…) Mais si la mort du système n\'est pas encore officielle, usagers et professionnels accusent déjà le coup». Ainsi s\'ouvre le dernier cri d\'alarme du docteur Véronique Vasseur, déjà auteur en 2000 du best-seller Médecin-chef à la prison de la santé, qui vient de publier Santé, le grand fiasco, coécrit avec sa fille Clémence Thévenot, journaliste.Des médicaments gaspillés aux déboires de l\'industrie pharmaceutique, de la débâcle de la médecine libérale à l\'essoufflement de l\'hôpital public, les auteurs listent ceux qu\'elles considèrent les symptômes de l\'écroulement du modèle de santé français, pourtant encore considéré en 2000 comme le meilleur au monde par l\'Organisation mondiale de la santé (OMS). Passage en revue du livre, en 10 phrases choc.Surconsommation«Angoissés et de plus en plus précautionneux, les Français, même ceux dans le besoin, usent et parfois abusent des consultations de «confort», des examens médicaux inutiles et des médicaments souvent pris en abondance (…)».Une attitude aggravée par la sur-médiatisation des questions de santé ainsi que par la gratuité des soins, qui conduit à des aberrations: les médecins, débordés et soucieux de garder leur clientèle, n\'osent presque plus refuser les prescriptions.Chaque Français achète 504 euros de médicaments par an, avec un surcoût pour l\'assurance maladie, par rapport à la moyenne des pays développés, de 5-6 milliards d\'euros… Une machine désormais trop coûteuse pour un Etat en déficit et vieillissant. Ainsi, de réforme en réforme, le système finit par allier «le pire de la logique de marché et de la médecine socialisée, sans en avoir aucun des avantages!»Gaspillage«En France, près d\'un médicament remboursé sur deux ne serait pas consommé. Pas étonnant quand on sait que les Français sont parmi les plus gros acheteurs au monde avec près d\'une boîte par semaine et par habitant. ( …) 3,2 milliards de boîtes sont vendues chaque année en pharmacie, soit 101 par seconde!»Le marché français recense 3.000 substances actives différentes, alors que l\'OMS ne liste que 350 médicaments essentiels. Le marketing des molécules «innovantes», l\'engouement pour le jetable, l\'automédication, le conditionnement inadapté aux besoins etc. font ainsi que le gaspillage coûte à la France 10 milliards d\'euros par an.Risque zéro«Les dérives prescriptives des médecins concernent également des examens médicaux parfois réalisés de façon abusive, sans nécessairement apporter de bénéfices aux patients».L\'accent mis sur la prévention a aussi des dérives: sur 100 actes médicaux prescrits, seulement 72 seraient «pleinement justifiés». Des appendicites aux opérations contre le syndrome du canal carpien, les interventions inutiles sont nombreuses selon le Dr Vasseur, qui s\'attaque aussi à la question polémique des excès du dépistage, notamment des cancers du sein et de la prostate.Solidarité«Malgré la nécessité de soigner les populations les plus précaires, les dispositifs solidaires que sont la CMU, la CMU-C et l\'AME coûtent cher. Jusque-là rien de choquant. Sauf que ces dispositifs sont aussi source de gaspillages, d\'abus et peut-être même d\'une certaine forme de discrimination positive».Si la surconsommation de soins des 2,2 millions de bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) de base et des 4,5 millions qui ont droit à la CMU complémentaire (CMU-C) se justifie par un état de santé dégradé, certains comportements des patients agacent le corps médical (dont le 25,5% refuserait ces patients).En revanche, de pans entiers de la population en sont exclus car «pas assez» pauvres... Les bilans de ces dispositifs de solidarité font défaut, notamment de celui de l\'aide médicale d\'Etat (AME) aux étrangers, aussi difficile à évaluer qu\'incohérent.Fraudes«La perméabilité du système voit exploser les fraudes à l\'assurance maladie. De petites combines en fraudes industrialisées, les pertes finissent par être colossales».En 2011, les arnaques ont coûté au moins 479 millions d\'euros à la Sécu, 120 millions à la seule Assurance maladie. Les plus gros préjudices financiers viendraient… des professionnels de santé: «erreurs» de facturation, prolongements des séjours en établissement, prestations inventées… Côté assurés, les arrêts maladie de complaisance contribuent lourdement à la facture.Lobbying«L\'industrie du médicament est juteuse, l\'excédent commercial du secteur dépassant en France les 5 milliards d\'euros. Dans une période économique sombre, la rentabilité de l\'un des premiers secteurs du pays, qui emploie plus de 100000 personnes, semble aussi inespérée que suspecte».Malgré de larges marges, les profits croissants des laboratoires sont peu réinvestis dans la recherche, la communication et le marketing étant plus rentables. L\'innovation pâtit mais tous les niveaux des milieux médical et politique sont sujets au lobbying. La publicité et l\'information se confondent alors que les recherches financièrement indépendantes se font rares et que l\'industrie défend férocement ses brevets.Epuisement«Les médecins libéraux traversent une crise sans précédent».Soumis à de multiples pressions (des patients, des labos, de l\'administration, de la justice, de l\'argent…), le 53% des médecins se sentent menacés par un burn out. Leurs relations avec les malades se dégradent, les banlieues et les campagnes se vident, certains honoraires enflent. Pourtant, la vocation persiste, puisqu\'en 2012 les médecins atteignaient le nombre de 268072: un chiffre record.Errements«Poussés par les scandales sanitaires, les gouvernements de tous bords ont mis sur pied un véritable État sanitaire reposant sur une armada très coûteuse de structures aux capacités d\'expertises et aux administrations propres».Une nébuleuse cloisonnée, dangereuse pour la cohérence des politiques de santé, pour la prise de décisions et de responsabilités et pour l\'indépendance des institutions.Conflits d\'intérêts«L\'affaire récente des pilules met de nouveau sur le devant de la scène les failles persistantes de la vigilance et de la sécurité sanitaire».Malgré le «plus jamais ça» de l\'après-scandale du Médiator, les structures de décision n\'ont été que relookées et leur indépendance absolue reste de façade, car illusoire. Les effets secondaires des médicaments sont souvent tus mais la voix des usagers n\'est pas encore véritablement reconnue.Rentabilité«La dette des établissements français a triplé en moins de 10 ans pour atteindre 23 milliards d\'euros d\'encours en 2011».Sans améliorations pourtant. Au contraire, les charges de travail augmentent sans suffire aux besoins: dans les hôpitaux, même les oreillers commencent à faire défaut… En revanche, le nombre de directeurs explose (50000 pour 3000 structures hospitalières publiques) et la tarification à l\'activité incite à la multiplication des examens. La quête de la rentabilité multiplie les incohérences et les inégalités.Le médecin et la journaliste concluent: «Les Français, viscéralement attachés à leur protection sociale, doivent comprendre que la France boîte depuis trop longtemps avec, dans sa chaussure, le caillou d\'une santé à bout de souffle, déjà rongée de l\'intérieur». Car «l\'heure des choix, tranchés et donc injustes, sonne».Mais «on peut sauvegarder le cœur d\'un système équitable et universel en supprimant les excès. On peut effectuer des choix intelligents sans nécessairement faire table rase du passé». A condition, selon le Dr Vasseur, que tout le monde participe.Véronique Vasseur, Clémence Thévenot Santé, le grand fiasco, 306 pages, 19 euros, éditions Flammarion
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