Lettre ouverte d'un « Pigeon de gauche » à François Hollande

Cher François,Je me permets le tutoiement car nous sommes des camarades : nous avons fait la même école et notre tradition autorise la fraternisation. En outre, c\'est aussi la coutume entre camarades de gauche ! Je me suis toujours demandé pourquoi tu n\'assumais pas ton diplôme de l\'École des hautes études commerciales (HEC)...C\'est pourtant censé être une formidable formation en temps de crise économique. Aujourd\'hui, les sondages te positionnent si bas qu\'on soupçonne un délit d\'incompétence ! C\'est historiquement grave.Je voudrais te proposer une façon de sortir par le haut de ces stratégies électoralistesCe point de détail d\'un cursus \"capitaliste\" non avoué, couplé à tes effets de manche sur le refrain de \"je n\'aime pas les riches\", est révélateur de ton emprisonnement actuel... dont je perçois que tu commences à t\'évader. C\'est dans le fond le propos de ce livre : je voudrais te proposer une façon de sortir par le haut de ces stratégies électoralistes, tellement populistes à force de vouloir ménager des soi-disant alliés...Nous essayons de sauver une vision de l\'État-providence dont la version actuelle est en train de détruire la marque France de l\'intérieur et sur la scène internationale. C\'est MAINTENANT que ça se passe. Je faisais partie des entrepreneurs qui se sont joints au travail des Assises de l\'entrepreneuriat entre janvier et avril 2013, à l\'initiative de cette ministre emblématique qu\'est Fleur Pellerin.Le discours de clôture que tu as prononcé a été une belle démonstration de réconciliation avec l\'entreprise et les entrepreneurs. Et j\'ai fait partie de ceux qui ont participé à la standing ovation.Il est grand temps que tu confirmes ce réveil et que, de patron du PS, tu deviennes président de la RépubliqueNous avons été nombreux à y voir un tournant économique majeur dans la politique du PS. J\'ai trouvé très courageux de prendre la parole lors d\'un moment symbolique (le 29 avril) qui précède les incontournables manifestations du 1er mai. En cela, le gouvernement a eu l\'audace de refuser publiquement le clivage fatigant patrons-employés. En cela, tu t\'exposais à la critique de la gauche de ta gauche, mélenchonesque, marxiste ou trotskiste.Alors non, il n\'est trop tard, mais il est grand temps que tu confirmes ce réveil et que, de patron du PS, tu deviennes président de la République. Notre pays a des caractéristiques, toutes ne sont pas des forces, mais, sur le plan économique, il y en a au moins deux dont j\'ai la conviction qu\'on ne pourra pas les remettre en cause tant elles sont mêlées à notre ADN.Le terrain est propice pour que le politique conserve ou reprenne l\'initiative face à l\'\"abandonnisme\" ambiantLa première, c\'est un État fort et interventionniste où la place du politique est importante. De la conversation de troquet au plateau des chaînes de télé, le politique et le rôle de l\'État sont au centre, et ce depuis au moins deux cents ans.La seconde caractéristique, c\'est notre façon de traiter l\'exception culturelle, au sens large : la volonté française de préserver un territoire non marchand en dehors de la sphère capitalistique, de résister, de lutter contre la privatisation à tout-va.Donc mes recommandations ne sauraient remettre en cause ces deux points. Je tiens juste à attirer ton attention sur le fait qu\'ils ne sont ni d\'un bord ni de l\'autre. Pour autant, reconnais que ce sont plutôt des idées ancrées à gauche. Ainsi le terrain est-il propice pour que le politique conserve ou reprenne l\'initiative face à l\'\"abandonnisme\" ambiant.Je plaide donc avec ferveur pour une révolution, encore une, mais cette fois-ci copernicienneMais cela ne suffira pas, car actuellement nous mourons de l\'immobilisme caractéristique de la première année de ton mandat. Il faut bouger ! Et vite ! Si la gauche est aujourd\'hui devenue conservatrice, assise sur un petit tas d\'acquis, je crains que ce ne soit par peur de l\'avenir ou par manque de vision économique. En cela, le Medef est tout aussi blâmable tant il semble également tourné vers son passé.Nicolas Sarkozy, à travers la plume habile d\'Henri Guaino, a eu beau jeu d\'invoquer l\'héritage de Jaurès ou de Blum en 2007 ! ; il n\'a fait qu\'occuper une place laissée vide par la pensée de gauche. Je ressens du côté du PS, avec amertume, une incapacité à penser demain, comme paralysé par aujourd\'hui.Je plaide donc avec ferveur pour une révolution, encore une, mais cette fois-ci copernicienne. Repenser la société et l\'économie en repartant du centre névralgique et microéconomique de l\'entreprise de façon à coller à la réalité du XXIe siècle ! Puis, et seulement puis, repenser l\'impact que devra avoir la gauche sur la société. Donc, tu l\'auras compris, abandonnons les dogmes liés à un modèle économique et productif qui n\'est plus.Le point de croissance, il va falloir qu\'on aille le chercher le couteau entre les dentsLa raison de l\'urgence de cette révolution ? Eh bien, c\'est la crise occidentale et française qui n\'est rien d\'autre que structurelle : tant qu\'on continue d\'espérer le retour d\'un petit point de croissance, mon cher François, c\'est un temps précieux que nous gaspillons... mais que tous ne perdent pas dans le monde qui nous entoure. On ne nous attendra pas. Plus personne n\'attend la France. Le point de croissance, il va falloir qu\'on aille le chercher le couteau entre les dents, avec la niaque !Avant ce discours des Assises au palais de l\'Élysée, une de tes prises de parole sur France Télévisions avait commencé à attirer l\'attention de certains commentateurs statisticiens qui avaient décortiqué ton vocabulaire et relevé 155 fois le terme \"entreprises\", 49 fois \"croissance\"... Nous sommes dans la bonne direction, mais cela t\'a pris un an, soit 20 % de ton mandat !Je sens partout où je me tourne un vent de catastrophismeIl faut aller plus vite, beaucoup plus vite. Sommes-nous en 1870, en 1929, en 1938, en 1973, en 1981 ou en 2012 ? Financière, numérique et mondiale, notre crise est inédite Les analystes se complaisent dans les comparaisons historiques. Il est certain que l\'époque actuelle semble trouver des échos dans des moments plus au moins reculés. Mais elle comporte des caractéristiques qui me font craindre l\'effondrement prochain de notre monde.Grâce à l\'aventure des Pigeons, j\'ai pu m\'entretenir avec des personnalités de premier plan, Neelie Kroes, la vice-présidente de la Commission européenne, ou Jacques Attali, à titre d\'exemple. Je sens partout où je me tourne un vent de catastrophisme. Les entreprises n\'arrivent ni à investir, ni à innover, ni à exporter, et ce... de moins en moins !Les salariés sont effectivement sacrifiés... et les investissements aussiTous ces chiffres d\'endettement, de chômage et de pauvreté moderne, auxquels ma génération s\'habitue jour après jour, pourraient être modérés par les perspectives de croissance que propose le monde moderne. Mais non : les statistiques s\'alignent, cruelles. La situation ne va pas s\'améliorer toute seule : selon les chiffres d\'Eurostat, la France a perdu plus de 10 % de parts de marché à l\'exportation entre 2006 et 2011. Les marges bénéficiaires des entreprises françaises sont les plus basses de la zone euro, selon Bruxelles !Donc oui, le coût du travail est important, pèse sur les marges des entreprises, et c\'est un obstacle compétitif objectif pour recruter les meilleurs éléments et pour exporter. C\'est un boulet aujourd\'hui car nos concurrents ne sont pas tous Français, donc pas tous soumis aux mêmes règles.D\'un autre côté, on constate une réduction drastique de la part des revenus salariaux dans le PIB, ce qui signifie que la part des autres revenus, notamment financiers, a augmenté : la part des dividendes a été multipliée par quatre depuis 1947. Et la part salariale du PIB a baissé de 9,4 % entre 1983 et 2006, d\'après le FMI.C\'est bien le résultat de la financiarisation et de l\'émergence des fonds, et de leur exigence de rendement à court terme. Les salariés sont effectivement sacrifiés... et les investissements aussi.La révolution numérique a succédé à la révolution industrielle : tout va plus vite, y compris les ravages de la crise.Il va falloir que la gauche apprenne à trouver des solutions en dehors de sa boîte à idées traditionnelle.______Extrait du livre \"La gauche a mal à son entreprise\" par Olivier Mathiot. Éditions Plon, 240 pages, 18.50 euros.>> DOSSIER SPÉCIAL \"PIGEONS\"Les « Pigeons » en veulent plus !La gauche a-t-elle entendu le message des « Pigeons » ?Financement des start-up : le retour des « Anges »Les \"Pigeons\" ont bien gagné leur combat« Pigeons... Le combat n\'est pas fini ! » 
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