Bourse : les ratés de la libéralisation

Qui aurait pu dire, il y a seulement deux ans, à la veille de l'entrée en vigueur de la toute nouvelle directive européenne sur les marchés d'instruments financiers, que le paysage boursier européen en ressortirait aussi rapidement bouleversé ? Certains, notamment les autorités françaises, n'hésitent pas à parler de conséquences disproportionnées ou inattendues et appellent à la révision du texte l'an prochain. Les Bourses traditionnelles, elles-mêmes, n'avaient pas vu le danger venir. Et pourtant, c'était inscrit : la directive MIF, en vigueur depuis le 1er novembre 2007, devait organiser la concurrence entre les lieux d'exécution des ordres de Bourse, avec pour objectif de réduire les coûts de transaction. C'était la fin annoncée des monopoles, comme celui de Nyse-Euronext Paris. Deux ans plus tard, les effets de la concurrence sont là. Outre-Manche, le London Stock Exchange a perdu sa suprématie sur les échanges sur le Footsie 100, son indice vedette. Sa part de marché oscille désormais entre 65 % et 59 %. Sur le CAC 40, l'érosion est moins marquée. Mais elle est en marche : Nyse-Euronext capte entre 71 % et 75 % de l'activité sur l'indice.De nouvelles plates-formes de négociation, dites alternatives, ont fait leur apparition, pratiquant des tarifs défiant toute concurrence. Chi-X, la première d'entre elles, a fait ses débuts sur les valeurs britanniques dès mars 2007. Aujourd'hui, elle représente entre 20 % et 25 % des échanges sur le Footsie 100. Mieux, son activité la place tantôt au troisième, tantôt au quatrième rang des marchés européens. À la rentrée 2008, d'autres l'ont suivi, comme Nasdaq OMX Europe, Turquoise (soutenu par des grandes banques internationales) et l'américain Bats.La directive a offert le choix du lieu d'exécution des ordres. Mais, dans un univers morcelé, il reste difficile de s'y retrouver pour l'investisseur. « Les coûts de transaction et de compensation ont diminué. Mais de nouveaux coûts ont fait leur apparition, comme ceux d'accès à des informations de marché consolidées », explique Fabrice Demarigny, associé chez Mazars et ancien secrétaire général du Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières (CESR). Les sociétés elles-mêmes sont déroutées. Leurs titres s'échangent sur des Bourses qu'elles n'ont pas choisies. Pour Jean de Castries, associé chez Equinox Consulting, « il est encore trop tôt pour critiquer la directive. Certains points sont à améliorer, notamment en matière de vision consolidée des informations de marché, mais la fragmentation de la liquidité est une question de maturité. Elle devrait probablement se réguler avec le temps, au fil de la consolidation du secteur. »rétablir l'équilibreMais surtout, 2009 a vu percer des plates-formes d'un nouveau genre : des dark pools, lancés par les marchés alternatifs, les Bourses traditionnelles ou les banques. Il s'agit de pôles de liquidité permettant notamment aux grands gestionnaires de fonds de placer des ordres de taille importante sans avoir à révéler leur stratégie au reste du marché et sans avoir à craindre un décalage de prix. Car ces plates-formes ne sont pas soumises aux règles de transparence sur les intérêts à l'achat et à la vente avant exécution de l'ordre. Mais leur activité, en progression, pose des questions aux régulateurs, de part et d'autre de l'Atlantique.De fait, c'est un bien drôle d'anniversaire que s'apprêtent à fêter les marchés européens. Le successeur de Charlie McCreevy à la direction marché intérieur de la Commission européenne aura la lourde tâche, l'an prochain, de décider s'il y a lieu de rétablir l'équilibre entre les différents acteurs du marché. Pour l'heure, la guerre est ouverte entre les uns et les autres, à coup de tarifs promotionnels et d'attaques épistolaires par régulateur interposé. Surnommée « Mines Field » (pour Mifid en anglais) au temps de son élaboration, la directive promet bien des débats au cours des prochains mois.
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