La France face à son « 11 septembre »

Par Philippe Mabille  |   |  731  mots
Le 11 septembre 2001, les terroristes islamistes avaient ciblé dans les deux tours jumelles le symbole du capitalisme occidental. Ce 7 janvier 2015 en France est une attaque contre notre liberté d'expression. Quand on s'attaque à ce que nous écrivons, ou dessinons, c'est que l'on veut nous dicter ce que nous devons penser. C'est pourquoi le symbole #jesuischarlie a fait le tour du monde car ce qui est en jeu, c'est rien de moins que notre culture, notre mode de vie et une certaine idée, française, et universelle, de la démocratie.

L'odieux attentat perpétré mercredi contre nos confrères de Charlie Hebdo, le plus meurtrier depuis la guerre d'Algérie, résonnera longtemps dans notre inconscient collectif comme notre « 11 septembre ». C'est d'ailleurs bien le but poursuivi par les barbares qui ont commandité cette tuerie : attiser les peurs, diviser les Français, monter les communautés les unes contre les autres, pousser à la guerre civile voire à une nouvelle guerre de religion.

Cet attentat doit être compris pour ce qu'il est : un acte de guerre. François Hollande, qui a immédiatement mis en œuvre le plan Vigipirate Attentat, le degré le plus élevé, ne le cache pas : jamais depuis la seconde guerre mondiale sans doute la France n'a été confrontée à une menace d'une telle ampleur, une menace diffuse et atomisée, avec plus de 1000 personnes déjà parties au nom du djihad en Syrie ou en Irak et on ne sait combien qui en sont revenu avec l'intention de tuer.

Avec ce 7 janvier meurtrier, toute la France se retrouve en deuil et sous tension, chacun restant sans voix devant l'horrible facilité avec laquelle des hommes masqués armés de kalachnikov peuvent sortir en pleine rue à Paris pour massacrer des journalistes, des dessinateurs et des policiers chargés de protéger leur liberté d'expression.

Ces terroristes n'ont pas agi au hasard : c'est bien le choix du journal satirique de publier des caricatures du prophète Mahomet qui en a fait une cible. En voulant tuer Charlie, en tuant Cabu, Charb, Tignous, Wolinsky, Maris et leurs amis, ces barbares veulent en réalité tous nous faire taire et condamner ce droit essentiel à toute démocratie : celui de pouvoir rire de tout, quitte à choquer les consciences, pour donner à penser et à réfléchir. Le fait que l'attentat coïncide avec la sortie du livre « Soumission » de Michel Houellebecq, roman de politique-fiction qui imagine l'élection en 2022 d'un président de la République issu d'un parti de la « Fraternité musulmane », qui imposerait à la France une conversion à l'islam, ajoute au tumulte et à la confusion des esprits.

Le choix de l'heure de la conférence de rédaction, ce moment si particulier, essentiel à la vie d'un journal, assurait de faire le maximum de victimes chez Charlie Hebdo. Le choix de la date, juste après les congés de Noël et le jour de l'ouverture des soldes d'hiver, vise clairement à terroriser toute la population. A l'évidence, le fait que la France soit, sur la scène internationale, le pays européen le plus impliqué avec le Royaume-Uni dans la guerre contre l'extrémisme islamique, au Mali ou en Irak, fait de notre pays une cible. François Hollande venait d'ailleurs de donner l'ordre au porte-avion Charles-de-Gaulle de se rendre dans le Golfe pour participer à des frappes contre l'Emirat islamique en Irak.

Le choc est grand, mais la France vient de montrer, avec la mobilisation massive au nom du slogan #jesuischarlie, qu'elle reste une grande démocratie, contrairement à ce que pense Michel Houellebecq pour qui la République est déjà morte et enterrée. L'émotion mondiale provoquée par ce 11 septembre culturel démontre aussi que le message universel de la France des Lumières continue de briller.

Pour survivre à ce choc, tout le pays doit se rassembler pour dire « non » à ces terroristes, refuser ce diktat de la peur, et faisant fi de tous les amalgames, prouver au monde que ces monstres se sont trompés de combat : la France n'est l'ennemie d'aucune religion. Et qu'ils ne viendront jamais à bout de notre liberté de penser. Comme l'a dit mercredi soir une femme anonyme dans la foule rassemblée place de la République, "quand des gens s'attaquent à ce que nous publions, c'est qu'ils cherchent à nous dicter ce que nous devons penser". Leur projet, sournois et insidieux, est de nous soumettre à la même autocensure que celle que l'on voit dans les pires dictatures. La meilleure réponse que nous pouvons adresser à ces barbares sectaires et rétrogrades, et le meilleur hommage que nous puissions rendre aux victimes de ce drame, c'est donc de toujours défendre le mot prêté à Voltaire : même si je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez continuer à l'écrire. Nous ne sommes PAS Charlie, mais nous nous battrons pour que Charlie Hebdo continue à dessiner.