Pourquoi la France ne comprend plus le Maghreb

On s'était ému de ne pas avoir vu venir la révolution tunisienne. Qu'avons-nous fait depuis pour mieux comprendre les sociétés civiles maghrébines ? À vrai dire, pas grand-chose... Force est de constater que la France ne comprend plus les enjeux latents des sociétés du Maghreb contemporain. Une tribune libre de François-Aïssa Touazi, fondateur du think tank CapMena.
François-Aïssa Touazi, fondateur du think tank CapMena.

Compte tenu de l'extraordinaire lien géographique et historique qui nous rattache au destin du Maghreb, cette difficulté de compréhension est une aberration. Dans son Livre Blanc*, Catherine Mayeur-Jaouen dresse un constat alarmant : « Le Maghreb est, avec l'Iran, la [région la] plus mal lotie dans la formation et la recherche françaises ». De nombreux postes de spécialistes reconnus, comme Benjamin Stora, n'ont pas été renouvelés. L'année prochaine, il ne restera plus qu'un seul professeur titulaire de l'histoire du Maghreb en France !

Sous la pression des enjeux géopolitiques et économiques, la connaissance du Moyen-Orient s'est peu à peu substituée à celle de l'Afrique du Nord. L'identité arabo-berbère, les dynamiques sociales et les sourdes attentes de la jeunesse du Maghreb n'ont pourtant rien à voir avec celles du Golfe.

Notre relation aux pays maghrébins est pourtant une donnée incontournable de notre histoire et de notre diplomatie, mais aussi - voire surtout - de notre avenir. La France est trop négligente : elle pense que notre histoire partagée suffit à garder le lien ; il n'en est rien.

Aujourd'hui, le Maghreb sort progressivement de notre champ de vision, pas tant dans ses données économiques, que dans la réalité de ses forces vives, des tendances sociales et sociétales qui le modifient de façon latente et profonde. Ce recul de nos capacités d'analyse explique en grande partie pourquoi la France a perdu du terrain au Maghreb. L'Italie, l'Espagne  et la Turquie deviennent de plus en plus influents. La Chine  est devenue le principal partenaire de l'Algérie. Et le Moyen-Orient pèse de plus en plus sur le plan culturel, à travers la puissance de sa production audio-visuelle. Mais il n'est pas trop tard pour inverser la tendance...

Investir dans l'expertise de la France sur le Maghreb

En effet,  la France a  encore des atouts à faire valoir pour nourrir notre lien avec le Maghreb.

C'est évident : nous devons d'abord réinvestir dans notre expertise. C'est le préalable à une politique plus ambitieuse d'ouverture, et à des partenariats plus riches et plus pérennes avec les acteurs maghrébins. Si les politologues ont continué à écrire sur la zone, nous manquons d'un regard plus sociétal sur le Maghreb, et le phénomène religieux n'y est pas analysé en profondeur.

L'investissement nécessaire passe par la (re)création de centres de recherche, avec ses spécialistes, ses rencontres, ses publications et ses relations avec des intellectuels et étudiants des deux rives de la Méditerranée. Il passe aussi par un retour aux sources originelles, pas seulement en langue française mais en arabe et en berbère. Il pourrait aussi se matérialiser dans la création de chaires d'enseignement spécialisé dans nos universités et nos grandes écoles, à Sciences-Po par exemple, et des partenariats ambitieux avec des institutions du Maghreb.

Nous manquons aussi d'instituts de langues capables de valoriser les dialectes maghrébins, et puisque le langage façonne la pensée, la philosophie spécifique du Maghreb. Se contenter d'étudier le Moyen-Orient en pensant connaître le Maghreb, cela serait comme défendre l'idée que l'étude de la culture allemande vaut connaissance de la France.

Enfin, nous devrions tirer meilleur parti de la diaspora venue d'Algérie, de Tunisie ou du Maroc. C'est elle qui détient les clés de compréhension du Maghreb contemporain. C'est elle encore qui pourrait servir d'interface et enrichir cette relation.

Débarrassons-nous de nos vieux préjugés, cessons de considérer le Maghreb comme un prolongement du marché national et accordons la priorité à la dimension humaine et à la connaissance : le Maghreb d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celui d'hier. Au-delà de notre aspiration collective au savoir et à l'influence intellectuelle, la création de cette expertise est indispensable pour nouer des relations durables et des partenariats d'exception avec le Maghreb. Sans elle, tous nos discours d'intentions sur la diplomatie et la coproduction sont voués à l'échec. Et le potentiel historique de notre alliance avec le Maghreb risque de se réduire à peau de chagrin.

Appliquons au Maghreb cette certitude que nous avons acquise et enseignée dans les écoles sur nos relations avec la Chine : le succès ne peut naître que d'une implication équilibrée, de long terme et d'une connaissance profonde des hommes et de leurs moteurs.

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* "Livre Blanc des études françaises sur le Moyen-Orient et les mondes musulmans" (2014), cité dans le Monde du 18 septembre 2015.

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Commentaires 5
à écrit le 05/03/2016 à 21:28
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la France a peur du Maghreb...

à écrit le 05/03/2016 à 19:52
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peut-être trop de meurtrissures, et si peu de séduction du monde arabo...au contraire du monde berbéro toubou touareg. pour quelles valeurs, quel souffle?

à écrit le 22/10/2015 à 19:55
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Le Maghreb ne fait pas rêver les Français, d'abord à cause de leur taux de corruption et leurs régimes autoritaires, mais aussi parce que leurs économies ne sont pas puissantes, et leurs technologies non plus. Les Français s'interessent surtout aux ...

le 23/10/2015 à 0:48
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Technologique supérieur ? En apparence pour le moment mais... Il y a péril en la demeure!

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