L'Homme qui voulait être roi

Par Philippe Boyer  |   |  832  mots
Le Pdg de Tesla, Elon Musk, assiste à la cérémonie d'inauguration de la Tesla Shanghai Gigafactory à Shanghai, en Chine, le 7 janvier 2019. (Crédits : Aly Song)
HOMO NUMERICUS. Elon Musk est un homme qui bouillonne d'idées. L'une d'entre elles serait d'aller coloniser Mars: bien plus qu'une simple vision, la conviction que l'innovation doit servir l'avenir de l'humanité. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.

2021 pourrait bien être l'année Elon Musk. Depuis peu, l'homme le plus riche du monde, du fait de la hausse spectaculaire du cours de l'action de Tesla Motors (+547% à Wall Street depuis janvier 2020, alors que la marque a livré un demi-million de voitures l'année dernière seulement), n'en finit pas de cumuler les superlatifs.

Outre qu'il inaugurera, mi-2021, sa méga-usine[1] Tesla située près de Berlin pour y assembler plusieurs modèles dont le Model Y de la marque, ces prochains mois devraient également consacrer sa maîtrise de l'espace. Si, au cours de l'année passée, SpaceX, sa société spécialisée dans la conception de fusées, aura réalisé 25 tirs de son modèle « Falcon 9 », tout en récupérant le lanceur d'engin réutilisable, l'année qui s'ouvre devrait confirmer son statut de « chevalier du ciel » en tant que partenaire de la NASA. En avril prochain, et pour ce deuxième vol habité de la capsule « Crew Dragon », l'astronaute français Thomas Pesquet prendra place à bord d'une fusée SpaceX à destination de la station spatiale internationale (ISS) positionnée à 408 kilomètres au-dessus de nos têtes.

Révolutionner tous les domaines

Souvent comparé à « Iron Man », héros populaire de la bande-dessinée américaine, interprété au grand écran par l'acteur Robert Downey Jr dans la peau de « Tony Stark », playboy milliardaire et inventeur de génie, Elon Musk, patron démiurge, fait preuve d'un appétit qui semble insatiable. Avec une volonté farouche d'innovation, quitte à dynamiter les fondements de secteurs très établis, l'entrepreneur milliardaire révolutionne presque tous les domaines qu'il touche.

Peu importe les sarcasmes, il fonce et met à exécution ses visions : faire décoller une fusée qui retrouve ensuite son pas de tir (SpaceX[2], créée en 2002), construire une voiture 100 % électrique (Tesla Motors[3], créée en 2003), mettre sur orbite un réseau de milliers de microsatellites pour rendre accessible le Web partout sur la planète[4] (2015), réinventer le voyage à grande vitesse en propulsant des capsules de transport dans des tubes hermétiques à une vitesse de près de 900 km/h (projet Hyperloop, lancé en 2013), fournir de l'électricité, transformer l'homme en cyborg en créant une connexion directe entre le cerveau humain et les ordinateurs grâce à des implants d'électrodes dans le cortex (Neuralink[5], créée en 2017)... les multiples fronts ouverts par Elon Musk donnent le tournis.

À y regarder de près, ses desseins messianiques tournent presque tous autour d'une seule et même idée : changer le monde pour le sauver en fournissant à l'humanité de nouvelles sources d'énergie, de nouveaux modes de transports propres... sans oublier de la prémunir contre les dérives des machines et singulièrement de futures intelligences artificielles « fortes » qui, à terme, pourraient menacer notre espèce.

Dans la tête d'Elon Musk

Elon Musk n'est pas si éloigné du philosophe Platon qui considérait que chacun serait jugé en fonction de sa vie sur terre et du bien accompli en lien avec ses actions. Est-ce pour cette raison que Musk entend coloniser la planète Mars afin d'en faire une planète habitable ? Tel semble être le dessein du patron de SpaceX et de sa folle conquête de l'espace. Les capsules et fusées « Crew Dragon », « Falcon 9 », « Falcon Heavy », « StarShip » sonnent comme autant de vaisseaux spatiaux tout droit sortis d'un épisode de « La Guerre des étoiles ». Derrière les sommes hallucinantes qu'Elon Musk engloutit pour réaliser son rêve, se profile en filigrane sa vision eschatologique : celle d'une planète, la Terre, sur laquelle il devrait être de plus en plus difficile de vivre du fait de la pollution, des pandémies, du réchauffement climatique...

À ce titre, Elon Musk endosse à sa façon les grands mythes constitutifs de nos civilisations (l'épopée de Gilgamesh, l'Arche de Noé...) qui se réfèrent à des cataclysmes auxquels les Hommes ont échappé grâce à leur ingénuité. Certes, Elon Musk n'en est pas encore au stade de la concrétisation technologique de cette mission vers la « planète rouge », mais il ne dévie pas de son idée consistant à préparer les conditions de ce futur départ (d'ici à 2030) pour aller coloniser cette planète et y reconstruire une humanité nouvelle[6].

On dira que ce projet est fou, fantasque, irréaliste, impensable... bref, hors de portée. En tant qu'homme pressé, Elon Musk n'a cure de ces jugements. Il avance vers son but, déterminé comme peuvent l'être les pionniers de la Silicon Valley qui s'essaient à imaginer et à construire ce que sera le monde à long terme. C'est la construction de ce monde-là qui motive l'audacieux Elon Musk, ce monde dans lequel l'entrepreneur-visionnaire, autant admiré que décrié, pourrait un jour devenir roi.

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NOTES

[1] https://www.tesla.com/fr_fr/gigafactory-berlin et

[2] https://www.spacex.com/

[3] https://www.tesla.com/fr_fr

[4] https://www.lefigaro.fr/sciences/les-satellites-d-elon-musk-forment-un-train-d-etoiles-jamais-vu-defilant-dans-le-ciel-20190531

[5] https://neuralink.com/

[6] https://youtu.be/Uu8au_ZgaJY