Descartes, Turing et Musk en ont rêvé : Iseult l'a fait !

HOMO NUMERICUS. Lire et comprendre le cerveau humain est un vieux rêve que caressent scientifiques et philosophes.  En ce début de XXIe siècle, la technologie le permet. Certains projettent même d'interfacer l'Homme à la machine pour créer un être humain augmenté. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Philippe Boyer
Coupes axiales de cerveau humain, à temps d'acquisition identique mais avec une intensité différente du champ magnétique (*)
Coupes axiales de cerveau humain, à temps d'acquisition identique mais avec une intensité différente du champ magnétique (*) (Crédits : CEA)

Descartes aurait rêvé voir une machine capable d'explorer le cerveau des Hommes. En attribuant au cerveau le rôle de médiateur entre esprit immatériel et monde matériel, le philosophe était convaincu que le siège de l'âme était logé au cœur de la glande pinéale, petite glande située au centre du cerveau. Pour lui, il ne faisait aucun doute que celle-ci servait de liaison entre l'esprit et le corps. Dans son traité sur "Les Passions de l'âme", Descartes postule que cette glande influence l'âme tout en commandant les mouvements du corps. Une sorte de tour de contrôle ayant pour rôle de piloter une machine fort complexe.

La science des 19e et 20e siècles écarta une telle conjecture à mesure que de nouvelles machines permettant de « voir l'invisible » furent mises au point : découverte des rayons X, début de la radiographie, développement de l'imagerie médicale (scanners, tomodensitomètres, PET-scan ...) jusqu'aux récents matériels d'imagerie par résonance magnétique (IRM) qui ouvrirent la voie à l'exploration de plus en plus fine du cerveau, tant dans son anatomie que dans son activité.

Iseult voit nos neurones

Tout récemment, l'annonce de la mise en service d'Iseult, appareil d'imagerie par résonance magnétique (IRM) projet franco-allemand initié en 2005 et piloté par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), ouvre de nouveaux espoirs pour la médecine, en particulier pour la détection et la prise en charge de maladies neurodégénératives. Avec un champ magnétique inégalé, Iseult surclasse, et de loin, toutes les autres machines actuelles en service dans les hôpitaux. Impressionnante par son gabarit (132 tonnes, 5 m de longueur, 5 m de diamètre) et son coût (215 millions d'euros), cette machine l'est surtout par ses capacités qui permettent de visualiser l'activité du cerveau à l'échelle du neurone.  De là, on se prend à rêver que l'on pourra peut-être décrypter notre activité cérébrale pour notamment anticiper et soigner de futurs troubles mentaux.

« Cerveau informatique »

Par abus de langage ou par facilité pour fixer les choses grâce à des images faciles à appréhender, la science informatique ne s'est pas privée d'abuser de cette forme d'anthropomorphisme assimilant la machine à un quasi-être vivant doté d'un « cerveau ». Alan Turing lui-même, l'un des pères fondateurs de l'intelligence artificielle (IA) donna une nouvelle dimension à la comparaison entre le cerveau des humains et « ceux » des machines. Via son célèbre test d'imitation visant à déterminer si une machine est capable de raisonner à la manière d'un être humain mais aussi de deviner s'il a à faire, ou non,  à une machine, l'IA s'est très vite emparée de cette image de « cerveau informatique » doté de propriétés logiques et probabilistes.

Fusionner avec l'IA

Plus récemment, et comme un pont entre « cerveau » de la machine et cerveau humain, de nombreuses équipes de chercheurs, mais aussi des sociétés spécialisées dans les interfaces cerveau-machine à l'instar de Neuralink, fondée par Elon Musk, ont attiré l'attention du public et des investisseurs sur cette technologie prometteuse consistant à concevoir des interfaces cerveau-machine pour redonner de l'autonomie aux paralysés, voire, faire émerger un être humain techniquement augmenté. S'il y a quelques semaines, Neuralink a ainsi annoncé avoir réussi à implanter une puce dans le cerveau d'un patient atteint de lésions cérébrales pour lui permettre de communiquer avec des ordinateurs, le fantasque Elon Musk vise plus loin : faire en sorte de rendre possible la fusion d'un cerveau humain avec l'intelligence artificielle afin que l'humanité ne soit pas « laissée pour compte » à mesure que l'IA devient plus sophistiquée. Un tel fantasme transhumaniste consistant à considérablement augmenter les capacités cognitives des êtres humains pose mille questions éthiques, à commencer par le fait qu'il serait alors possible de créer plusieurs catégories d'humains : ceux qui seraient « augmentés » et les autres, non-connectées à ces implants. Dans cette vision dystopique, il restera à trouver quel camp oppressera l'autre.

La révélation des premières images du cerveau humain par l'IRM Iseult, la plus puissante du monde, marque donc bien plus qu'une simple avancée technique. Elle représente un pas de géant dans la compréhension de notre propre nature et ouvre un chapitre fascinant de notre évolution, où humanité et technologie se fondent d'une manière jamais envisagée auparavant. Comme pour toute grande découverte, il nous reste à choisir la direction que nous prendrons, avec l'espoir que les bénéfices pour l'humanité - guérir des pathologies neurodégénératives, comprendre comment nos pensées et émotions se forment - l'emporteront sur les risques éthiques.

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(*) Coupes axiales de cerveau humain, à temps d'acquisition identique mais avec une intensité différente du champ magnétique. A 3 T, aimant d'IRM couramment utilisé dans les centres hospitaliers, et à 7 T, (seules 3 machines en France et une centaine dans le monde), la précision et la netteté sont moindres. A 3T, un nuage « granuleux » empêche de délimiter clairement les structures anatomiques du cerveau. A 7T, lorsque l'on zoome, le niveau de détail à cette résolution est amoindri. A 11,7 teslas, l'IRM Iseult, le seul actuellement en fonctionnement au monde à cette intensité, fournit un réservoir de signaux et de contrastes entre les tissus biologiques qui permet une exploration plus fine du cerveau humain.

Philippe Boyer

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Commentaire 1
à écrit le 04/04/2024 à 12:41
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"créer un être humain augmenté" avec les progrès de la médecine, on est déjà augmentés. De nombreuses maladies tuaient prématurément les gens, ou les rendait infirmes. La vaccination nous met à l'abri de tout ça. Les antibiotiques aussi, mais à trop ...

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