Sorry Thierry  !

HOMO NUMERICUS. Pour réguler les GAFA il faut se doter de nouveaux outils destinés à mieux les contrôler. Bien plus qu'un simple enjeu de souveraineté numérique, il s'agit aussi d'un acte de défense de nos valeurs européennes. (*) Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Thierry Breton.
Thierry Breton. (Crédits : POOL New)

La scène est difficile à imaginer tant elle parait surréaliste : Sundar Pichai, directeur général de Google, a appelé Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché unique et de l'économie digitale, pour s'excuser suite à une révélation qui n'aurait jamais dû fuiter.

Au centre de cet acte de contrition rendu public par l'hebdomadaire Le Point [1], rien moins que le détail du plan de bataille de Google, document intitulé «DSA 60-Day Plan Update », destiné à contrer la nouvelle législation numérique européenne, le futur Digital Service Act (DSA), qui devrait être rendue publique avant la fin de cette année.

À un moment où les géants américains de la tech sont les premiers bénéficiaires de cette pandémie qui paralyse le monde, et, partant, qui nous force à « vivre à distance » en utilisant à plein régime le réseau Internet et ses multiples ressources (télétravail, commerce en ligne, loisirs...), la puissance des Google, Apple, Facebook et autres Amazon (GAFA) devrait encore se renforcer au terme de cette période de crise.

En y regardant bien, jamais dans l'histoire de l'humanité si peu d'individus, ceux qui sont à l'origine de ces « nouveaux Titans du web[2] », n'auront dicté leur loi à un aussi grand nombre, le tout avec aussi peu de contre-pouvoirs en place.

Si la question n'est pas d'aller contre le big data, l'intelligence artificielle et toutes ces autres innovations technologiques qui, si elles sont prises pour le meilleur de ce qu'elles sont, peuvent apporter un indéniable supplément de « progrès positif » - pari Pascalien en-soi - il n'empêche qu'il faut être réaliste : il sera de plus en plus difficile de rattraper ces GAFA du fait des données qu'ils ne cessent d'accumuler, celles-ci au cœur de leurs modèles d'affaires. Cette accumulation massive et continue les mettant progressivement hors de portée de toute concurrence.

Griefs

On se rassurera en se disant que le pire n'est jamais certain. Raison pour laquelle États et institutions internationales, à l'instar de la Commission Européenne ou de l'OCDE, s'arment pour combattre ces géants de l'Internet aux motifs que ceux-ci (la liste de ces griefs est longue...) abusent de leurs positions dominantes, instrumentalisent la politique sans oublier de capter d'énormes richesses mais sans pour autant en redistribuer une partie via les règles fiscales des États.

Il faut dire que, depuis une vingtaine d'années, les GAFA se sont développés à l'abri de toute réglementation. Cet environnement favorable permettant à Google de s'assurer le contrôle de près de 90% du marché des moteurs de recherche[3], Amazon de capter près de 50% des ventes en ligne aux États-Unis et Facebook de capter l'attention de 2,74 milliards d'utilisateurs actifs chaque mois[4]. Le résultat financier de cette mainmise sur l'Internet mondial est connu : à eux quatre, la capitalisation boursière de ces GAFA représente près de 5.000 milliards de dollars[5], le double du seul PIB de la France.

À l'offensive

On pourra considérer que ce n'est pas encore assez, mais l'Europe, comme les États pris individuellement, en ce compris le gouvernement des États-Unis, sont à l'offensive face aux GAFA. À l'initiative de la commissaire danoise Margrethe Vestager, en 2019, et pour la troisième année consécutive, Google a écopé d'une amende pour abus de position dominante dans la publicité en ligne. Au total, l'UE ayant infligé près de 8,2 milliards d'euros d'amendes à Google. La note aurait pu être encore plus salée si la Commission avait appliqué à la société dirigée par Sundar Pichai l'amende maximale prévue par les textes : 10% du chiffre d'affaires du moteur de recherche, une amende potentielle qui aurait pu atteindre 16 milliards d'euros. Pas sûr néanmoins que ces remises dans le droit chemin qui se chiffrent en milliards soient assez dissuasives pour freiner le développement de ces acteurs qui bénéficient d'une puissance financière et juridique inédite.

Œil pour œil

Dans ce combat entre GAFA et États, il faut faire feu de tout bois, comme en témoignent les dispositifs imposés par l'Europe pour préserver et renforcer sa souveraineté numérique. Que cela concerne la protection des données à caractère personnel, le fameux RGPD, mis en œuvre en 2016, ou, dans quelques semaines, le futur « Digital Service Act » (DSA) accompagné du « Digital Markets Act » (DMA), ces deux textes portés par le commissaire français Thierry Breton[6], il s'agit de faire œuvre de souveraineté numérique tout en défendant nos valeurs européennes.

Si le premier de ces deux futurs textes, le « Digital Service Act », régulera les contenus publiés sur les plates-formes ainsi que les plates-formes elles-mêmes (ce qui est ici dans le viseur, c'est le fait d'absorber la quasi-totalité des recettes de l'Internet sans responsabilité éditoriale ni fiscalité afférente), le second texte, le « Digital Markets Act », aura, quant à lui, vocation à s'attaquer aux géants du web qui tendent à étouffer la concurrence. L'action de l'Union européenne étant de soumettre ces multinationales à de nouvelles obligations pour les obliger à se mettre en conformité avec les règles concurrentielles en vigueur dans le marché intérieur. L'Europe se réservant même le droit, « dans des cas exceptionnels », de statuer sur le démantèlement de ces géants du web, ce fameux « break up » cher à la sénatrice Elizabeth Warren et à la gauche démocrate américaine.

Défense de nos valeurs européennes

Certes, l'objet de ce futur « Digital Markets Act » portera sur le sujet du droit de la concurrence, mais son emprise ira bien au-delà en s'attaquant également aux aspects liés au commerce électronique, à la fiscalité de ces acteurs ou encore aux mesures d'urgence à prendre face aux comportements de ces plates-formes numériques. Bref, l'imposition d'un cadre beaucoup plus exigeant.

Plus largement, ces nouveaux textes à vocation protectrice à l'égard des citoyens européens auront aussi, et surtout, une incontestable valeur politique en prenant la défense des valeurs européennes dont notre conception des droits de l'Homme et de notre vision de la société. Dans la vielle Europe, qui a vu naître la démocratie, la question n'est plus tant celle de savoir comment se passer de ces GAFA que de les contraindre à respecter nos règles.

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NOTES

1 https://www.lepoint.fr/technologie/a-la-suite-des-revelations-du-point-le-patron-de-google-presente-ses-excuses-a-thierry-breton-14-11-2020-2401060_58.php

2 Charles-Édouard Bouée dans L'Ère des nouveaux Titans (Grasset).

3 https://www.leptidigital.fr/webmarketing/seo/parts-marche-moteurs-recherche-france-monde-11049/

https://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/1125265-nombre-d-utilisateurs-de-facebook-dans-le-monde/

5 https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/07/31/malgre-la-crise-les-resultats-des-gafa-depassent-toutes-les-previsions_6047807_3234.html

6 https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/10/22/thierry-breton-dans-bien-des-cas-l-espace-numerique-est-une-zone-de-non-droit_6056957_3234.html

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Commentaires 3
à écrit le 26/11/2020 à 18:37
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L'Etat fainéants et ses servant(s) ont été incapable de nous livrer des boites courriel gratuites, des itinéraires malins, des cartes, des plans , des vues de l'espace , des livres ( aucune dictée disponible sur gallica alors que les livre ont été dé...

à écrit le 24/11/2020 à 10:51
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Nous avons droit a des dirigeants qui préfèrent vous dire ce qu'il faudrait faire, plutôt que de régler le problème qui justifie leur présence a notre tête!

à écrit le 24/11/2020 à 8:04
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Nos "valeurs européennes" ? Ah parce que l'UE aurait des valeurs ??? Et personne ne m'a prévenu c'est ballot... Ah moins que vous ne vouliez parler du dumping fiscal et le dumping social donc ? Heu... ben je passe mon tour hein pour ma part, s...

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