Faut-il encore un droit du travail ?

La réforme du code du travail bute sur une difficulté. Tous les experts syndicaux et autres qui s'y attèlent se nourrissent en même temps de sa complexité. Au point que plus personne n'ose discuter du bien-fondé de ce droit à part, au regard du droit commun qui régit par contrat toutes les relations économiques. Pourquoi la relation de travail ne serait-elle pas un contrat comme les autres ?

Le projet de réforme du droit du travail par ordonnances, en cours d'élaboration, commence à livrer ses premières orientations. Dans le cadre d'une débauche de séances de concertation avec les partenaires sociaux, le gouvernement précise ses intentions, d'abord en termes d'articulation des normes. Et pour faire court, ça ressemble beaucoup à du sur-place et du conservatisme. Ce qui n'est pas vraiment une surprise : il est difficile d'imaginer une réforme structurelle en recourant aux mêmes experts écoutant les mêmes interlocuteurs qui, tous, révèrent pour l'essentiel le cadre existant.

Le droit du travail est aujourd'hui une discipline particulièrement élaborée, avec toute son industrie de commentateurs, de juristes, d'analystes et de consultants qui ont évidemment tous intérêt à entretenir cette complexité et cette spécificité : c'est leur raison d'être et leur fonds de commerce. Au point que plus personne n'en vient à interroger l'origine et le bien-fondé de l'existence d'un droit à part et aussi sophistiqué pour organiser les relations de travail : qu'est-ce qui différencie donc un contrat d'un autre domaine de la vie économique et sociale d'une relation entre quelqu'un qui propose sa force de travail et quelqu'un qui la recherche ?

Représentation mentale qui remonte à la révolution industrielle

Notre substrat sociologique profond a en fait largement intégré les justifications primitives du droit du travail, qui remontent pour l'essentiel aux temps les plus âpres de la révolution industrielle. Une relation par essence déséquilibrée et inégale, celle d'un maître et d'un sujet, le pot de fer et le pot de terre, le capital tout-puissant et l'ouvrier démuni. C'est bien cette représentation mentale qui survit encore dans l'esprit de ceux qui se nomment les « travaillistes » pour justifier une construction colossale censée rééquilibrer ce face-à-face digne d'un roman de Zola. Il faut donc protéger le salarié, y compris contre lui-même, et multiplier les instruments individuels et collectifs qui viennent entraver autant que possible un employeur aux pouvoirs sinon démesurés.

Il faudrait pourtant s'interroger sur l'intérêt de placer la relation de travail sous l'empire d'un droit aussi exorbitant du droit commun. Pourquoi, en 2017, la relation de travail ne serait-elle pas un contrat comme un autre ? Aujourd'hui, salariés et employeurs bénéficient mieux que jamais d'une information très large et précise sur les propositions et les conditions de marché en vigueur. Plus question d'ignorance ou d'asymétrie d'information sur les embauches, les salaires pratiqués, les tensions en faveur ou en défaveur de l'une ou l'autre des parties pour chacun des métiers, ou encore par zone géographique. Les employeurs ont bien sûr un pouvoir de négociation élevé là où il y a une offre de travail très excédentaire et donc du chômage, mais la réciproque est vraie lorsqu'ils peinent à recruter.

Nouvelles technologies et appariement de l'offre et de la demande

Les nouvelles technologies ne contribuent d'ailleurs pas seulement à la transparence et à l'information sur le marché du travail. Elles facilitent grandement l'appariement de l'offre et de la demande. Elles offrent des potentialités considérables de formation à de nouveaux métiers, mais aussi de création de sa propre activité avec une facilité jusqu'alors inconnue. Chacun peut envisager de proposer ses compétences en direct ou via des intermédiaires à des clients qui n'auraient été auparavant que d'éventuels employeurs, dans un cadre moins défavorable à celui qui propose sa force de travail. La révolution numérique rend également le capital accessible comme jamais, tout en gommant les distances et les barrières naturelles. L'accès au droit, pour celui qui doit y avoir recours, est également beaucoup plus aisé qu'autrefois, avec profusion d'explications et de conseils en ligne, même si le parcours judiciaire reste souvent marqué par l'archaïsme de l'institution. Les employeurs/commanditaires sont par ailleurs bien plus fragilisés qu'autrefois grâce au numérique et aux réseaux sociaux, leur réputation étant en permanence soumise à la libre critique qui peut la remettre en cause.

Le non-travail est aussi moins pénalisé qu'autrefois : outre les situations d'éligibilité à une assurance chômage plutôt généreuse, la situation française se caractérise par l'existence de différents minima sociaux qui préservent du dénuement total, ainsi que par l'accès universel à une assurance maladie très protectrice sur seule condition de régularité de résidence.

De plus en plus, le marché du travail est donc une simple confrontation d'offre et de demande, entre parties avisées et éclairées, avec leurs alternatives et leurs choix, dans un monde toujours plus global. Plus rien qui ressemble à l'ouvrier non qualifié enfermé dans son territoire, sans formation ni information, dépendant souvent d'un seul employeur potentiel omnipotent. Les nouvelles formes d'emploi se multiplient, et le chômage est d'ailleurs à ses plus bas niveaux historiques dans beaucoup de pays du monde, tandis que les taux d'activité sont souvent au plus haut.

Le mythe des vertus du dialogue social structuré

Le fatras réglementant l'organisation collective du travail est tout aussi archaïque que la réglementation du contrat de travail. La plupart des salariés ont aujourd'hui d'abord des préoccupations individuelles bien plus que collectives. Ils se projettent de moins en moins sur une longue durée dans l'entreprise, zappant d'employeur en employeur en fonction de ce qu'il peut leur offrir. Et ils n'ont souvent que faire des instances collectives et des syndicats. Loin du mythe des vertus du dialogue social structuré autour des instances représentatives du personnel, la réalité de la vie des entreprises est toute autre : des salariés pour la plupart indifférents aux instances et aux syndicats, des élus souvent déconnectés de leurs collègues et aux compétences parfois insuffisante quand il ne s'agit pas des « moutons noirs » du groupe, des séances interminables de figures imposées entre interlocuteurs méfiants, une bureaucratie interne sans fin générée par tout ce que le code du travail oblige d'aborder, et par ce qu'il faut préparer en amont ou consigner en aval de ces réunions à répétition...

Tout ce cérémonial pour, au final, un contenu souvent dérisoire, surtout quand les branches ont déjà occupé le terrain. Branches dirigées par des acteurs patronaux et syndicaux dont les mandants supposés sont en fait de plus en plus distants, comme en témoignent les mesures d'audience et d'adhésion (7% des salariés de TPE se prononçant sur les organisations syndicales, 11% des entrepreneurs inscrits votant pour leurs représentants aux organismes consulaires...). Un désintérêt inversement proportionnel aux avantages et moyens que les pouvoirs publics s'ingénient à préserver ou à développer au profit des syndicats de salariés et d'employeurs.

Un droit pointilleux sans justification ni efficacité

Pour la relation de travail individuelle comme pour son cadre collectif, ce droit pointilleux et prescriptif à l'excès n'est en fait ni justifié ni efficace. Au contraire, inscrire la relation de travail dans le droit commun, en faire un contrat comme un autre entre deux parties libres et responsables créerait un formidable élan pour tous. Enfin de la place pour du « sur-mesure » décidé entre salarié et employeur afin de répondre à leurs attentes et de définir l'équilibre de leur relation. La fin de toutes les dispositions standardisées qui brident d'autant les attentes du salarié et de l'entreprise, les empêchent d'innover et d'adapter librement les horaires de travail, le télétravail, le temps partiel, les congés, les conditions de rupture du contrat, son indemnisation et tant d'autres dispositions pour lesquelles l'entreprise lambda et ses salariés n'ont généralement pas la moindre latitude.

Il faut bien sûr que soit respecté un certain ordre public fondamental, par exemple en termes de sécurité. Mais souvent, des règles européennes existent déjà pour l'essentiel - le travail des mineurs, les repos minimaux, le temps maximal de travail, y compris à un niveau sectoriel comme pour les conducteurs de poids lourds. Et de toute façon, le code civil apporte ses propres protections, bannissant les contrats léonins ou encore la mise en danger d'autrui comme de soi-même.

Faire bien plus et mieux que le code du travail

Intégrer le travail au droit commun, ce serait aussi se débarrasser d'un formalisme aussi coûteux qu'inutile, qui empoisonne tant la vie des entreprises les plus petites. Cela permettrait de remplacer une gestion collective alambiquée, source de confrontations, par des relations libérées autour du contrat individuel, sans interdire le moins du monde la liberté d'association et de regroupement. Ni de faire bien plus et mieux que ce que prévoit le code du travail en matière d'information et d'association de la communauté de travail, et cette fois en direct avec les salariés, comme c'est le cas de beaucoup de groupes qui s'en portent très bien à l'étranger.

Ceux qui offrent leur travail y trouveraient des protections contractuelles parfois plus précises et adaptées qu'aujourd'hui, comme cela peut-être le cas pour un prestataire face à son client. Pour les TPE, ce ne serait pas pour autant un saut dans l'imprévisible, car se développeraient immédiatement des contrats-types leur donnant du choix mais aussi un cadre simple auquel se rattacher par défaut.

Décrisper la relation de travail

Basculer la relation de travail dans le droit commun du contrat serait aussi une manière de démythifier ce rapport, de l'apaiser, d'en faire une relation parmi d'autres à normaliser, au lieu d'en faire un objet de crispation autour d'un rapport présumé inégal et d'une aspiration désuète à l'emploi à vie. Parce qu'il joue contre l'emploi, le droit du travail aboutit en fait à l'inverse du but recherché, rendant l'employeur particulièrement méfiant et sévère, et fragilisant l'employé puisque conduisant à un chômage plus élevé. Or la meilleure protection de celui qui propose son travail, c'est d'abord d'être courtisé : plus le chômage est faible, plus le droit est souple, et plus le salarié potentiel bénéficiera d'un rapport de force favorable.

Avec une justice dotée des moyens nécessaires pour être diligente et efficace, revenir au droit commun du contrat permettrait de faire un bond considérable dans la modernisation et la simplification du marché du travail. Un gagnant-gagnant qui bénéficierait à l'emploi et à la croissance.

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Commentaires 5
à écrit le 13/07/2017 à 13:12
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Verbiage prétentieux sans beaucoup de fond. Le code du travail est certes trop complexe. Il est bien évident que le manutentionnaire de la PME de la Zac du coin est autant armé que sa drh sur la connaissance du droit social.

à écrit le 13/07/2017 à 11:41
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JE N AI JAMAIS ETENDUE AUTANT DE BETISES SUR LE DROIT AUX TRAVAIL? ENTRE OUVRIERET PATRONNAT IL N Y A PAS DE RAPPORT EGAL A EGAL. DES QUE QU ELQU UN VOUS PAIE IL EXIGE DE VOUS D ETRE MANIABLE ET CORVEABLE A OUTRANCE? J EN LA PREUVE ENCORE AUJOURDHUI...

à écrit le 13/07/2017 à 11:20
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Mais enfin, les personnes qui cherchent du travail ne sont absolument pas en position de négocier face à un employeur, particulièrement avec un chômage massif ! Les minima sociaux permettent uniquement la survie... Allez dans un tribunal et vous a...

à écrit le 13/07/2017 à 11:08
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"Faut-il encore un droit du travail ?" OUI Faut-il encore des "mauvais" pour poser des questions à la "c.n?"NON

à écrit le 13/07/2017 à 10:13
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" Aujourd'hui, salariés et employeurs bénéficient mieux que jamais d'une information très large et précise sur les propositions et les conditions de marché en vigueur. " Pensez vous vraiment que les employés de chantier ou les "techniciens de surf...

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