Vivement dimanche prochain !

Par Philippe Mabille  |   |  958  mots
La polémique n'en finit pas sur la libéralisation du travail le soir et le dimanche. Ce débat est exemplaire des archaïsmes français, à l'heure d'internet et du e-commerce. Et si, au lieu de tout régler par la Loi, on faisait davantage confiance aux dialogue social et la liberté contractuelle.

Ils en ont parlé… Et ils risquent bien de continuer à en parler encore longtemps. De quoi ? De la 4G qui démarre, enfin sauf chez Free ? L'« US Shutdown », le blocage budgétaire à Washington ? Non ! Depuis le week-end dernier, depuis les affaires Sephora, Monoprix et Castorama, la France de la bricole et des courses du soir et du dimanche ne parle que de ça, l'interdiction faite par les juges, au nom de la Loi, de travailler le soir et le dimanche, sauf dans des cas très dérogatoires et à vrai dire assez arbitraires.

C'est un de ces débats dont la France a le secret. Bien idéologique et caricatural. Il oppose les "gentils salariés" et les "salauds de patrons", les "pauvres étudiants exploités" et les "syndicats archaïques défenseurs des acquis sociaux". La vérité est plus nuancée. Tous les sondages publiées sur le sujet cette semaine, montrent que l'opinion est beaucoup plus en avance et libérée qu'on le pense. D'où la prudence du gouvernement sur ce dossier et sa relative ouverture, concrétisée par la mise en place d'une... commission.

Deux Français sur trois se disent prêt à travailler le soir et le dimanche, à condition bien sûr d'être payés plus. Pour les entreprises concernées, le blocage actuel est très mal vécu, au point que certaines enseignes de bricolage ont décidé de braver encore une fois ce dimanche l'interdiction légale. Avec cette fois la "bénédiction" des maires et l'indulgence de l'Etat, dans l'attente d'y voir plus clair...

Comment sortir de l'impasse actuel, par autre chose qu'un "bricolage" de plus sur des textes législatifs déjà maintes fois retouchés et toujours inadaptés ?

C'est un débat sur le travail, la place du travail et du temps libre dans nos sociétés modernes. Mais aussi sur une question de plus en plus cruciale en ces temps de crise. Jusqu'où faut-il aller ? Jusqu'où sacrifier des acquis sociaux au nom de l'emploi, pour lequel, c'est le moins que l'on puisse dire, on n'a pas tout essayé ?

Pour beaucoup de Français, près de 4 sur 10, l'exception est devenue en 2013 la règle. On se dit donc qu'au XXIe siècle et à l'ère de l'Internet et du e-commerce ouverts 24 heures sur 24, il est un peu illusoire et anachronique de s'écharper sur la liberté de faire ses courses le soir ou bien après la messe. La France a changé et il y a désormais une vraie demande pour des commerces ouverts plus tard et durant le jour du Seigneur.

C'est aussi un débat sur l'emploi, même si la vérité oblige à reconnaître que les études d'impact du secteur du commerce sont contestées et sans doute optimistes. À coup sûr, ce qui sera dépensé le dimanche ne le sera pas le mardi. Mais c'est négliger l'effet sur le tourisme, un secteur d'avenir pour la France, alors que la fermeture des grands magasins à Paris le dimanche précipite, dit-on, les Chinois dans les bras de Harrods à Londres.

Et puis, enfin, c'est un débat sur la liberté, la liberté d'entreprise et d'entreprendre, la liberté du commerce, peu reconnue dans notre pays et en tout cas mal-aimé. Au nom de quoi accepte-t-on que les cinémas, les théâtres, les musées soient ouverts le dimanche, et pas un commerce de bricolage ou un grand magasin ? Ceux qui font les lois ou qui inspirent le Code du travail ont-ils développé une phobie du commerce ? Pourquoi donc seules certaines activités culturelles ou de services publics et collectifs, comme les transports et hôpitaux, auraient-ils la noblesse suffisante pour que l'on accepte que des gens y travaillent le dimanche ?

Soyons clair, il n'est pas question de tout libéraliser, sans régulation ni limite, au détriment de la santé et de la qualité de vie : la société a le droit de fixer démocratiquement des règles de vie en commun. À l'heure où la crise nous interroge sur la pérennité de notre modèle de surconsommation, on peut bien sûr se féliciter que quelques heures par jour et une fois par semaine règnent le calme et le silence propice à la balade et à la déambulation sans but, en famille ou entre amis.

Ce dont il s'agit ici, c'est de la tendance liberticide de l'État qui fabrique encore trop souvent des lois absurdes, mal fagotées et abusives. Et si la solution était dans un dialogue social rénové ? Il est quand même plus que paradoxal et inédit de voir des salariés en colère attaquer en justice des syndicats censés les défendre et qui les empêchent de travailler plus pour gagner plus…Finalement, le débat sur le travail du dimanche, que l'on pourrait balayer comme assez anecdotique, est peut-être l'occasion d'en réveiller d'autres, sur le temps de travail et les heures sup, sur la place de la négociation collective dans notre pays si crispé.

C'est peut-être là que Jean-Paul Bailly, l'ex-PDG de La Poste, en charge (pour la seconde fois…) de la énième commission sur le travail du dimanche, pourrait renverser la table et en profiter pour énoncer un principe simple, celui de la liberté contractuelle. Et si on disait que ce qui a été négocié de bonne foi par des parties contractantes dans l'entreprise avait désormais force de loi… Tout est évidemment dans le terme « de bonne foi », mais au vu de l'attitude de certains syndicats dans ce pataquès, cela ne vaut pas que pour le côté employeur...