Un "manque de discernement" aussi en matière fiscale ?

Par Philippe Mabille  |   |  1801  mots
Le recul sur la taxe EBE des entreprises puis sur la taxation sociale de l'épargne à long terme sont des signes inquiétant du manque de cohérence de la politique fiscale de François Hollande. Un amateurisme qui alimente dangereusement le poujadisme ambiant, à l'heure de la fiscalité-girouette.

François Hollande a-t-il perdu la main en matière de fiscalité ? Le président de la République, qui se targue d'être le premier fiscaliste de France, lui qui est un spécialiste de cette matière aride, mais ô combien politique, au sens noble comme au sens le plus trivial, vient de connaître sur ce sujet une série de revers qui donnent le tournis.

Le pataquès de l'EBE

Qu'on en juge. Un jour, le gouvernement veut changer l'assiette de l'impôt sur les sociétés, pour éviter la fuite de la base fiscale vers les circuits d'évasion internationaux dont profitent les grands groupes. Il propose alors au patronat un "deal" : suppression des taxes sur le chiffre d'affaires, création d'une nouvelle assiette sur l'excédent brut d'exploitation (EBE, proche de l'Ebitda des financiers) et baisse de l'impôt sur les sociétés. Pierre Gattaz, le président du Medef dit : "tope-là". Quelques semaines plus tard, ne reste plus dans la loi de finances que la taxe sur l'EBE, le patronat se dit "floué", mobilise ses troupes en dénonçant, à juste titre, même le gouvernement l'a reconnu a posteriori, une taxation de l'investissement, contradictoire avec l'objectif de renforcer la compétitivité de l'économie et la productivité de l'entreprise France. Résultat, alors que la mesure est inscrite dans le projet de loi de finances pour 2014, le gouvernement recule, en deux temps, essayant de transformer l'EBE en ENE (excédent net d'exploitation, un concept qui n'existe pas dans la comptabilité d'entreprise) et finalement, aboutit sur une surtaxe, censée être temporaire, d'impôt sur les sociétés qui en portera le taux facial réel à 38% à rebours de ce que font tous nos concurrents en Europe. Et au risque d'accélérer encore plus la fuite de l'impôt que l'on voulait empêcher, vers des cieux plus cléments…

La tartufferie de l'épargne longue

Deuxième exemple, la tartufferie de la taxation rétroactive de l'épargne longue que la gauche voulait soumettre aux prélèvements sociaux au taux actuel de 15,5%, quelle que soit l'antériorité des placements. Alors que le gouvernement, aidé en cela d'un très bon rapport de deux députés socialistes, Berger et Lefebvre, dit vouloir réorienter l'épargne des Français vers le financement à long terme des entreprises et promet, depuis la fin août, la pause fiscale, cette mesure, votée la semaine dernière sans réel débat par les députés de la majorité socialiste, n'a pas tenu plus de trois jours face à la fronde des épargnants, fourmis, mais pas pigeons.

Dimanche, le ministre du Budget, Bernard Cazeneuve, le même qui le vendredi soir signait avec Pierre Moscovici et Marisol Touraine un communiqué pour défendre la justice de cette "mesure de solidarité" consistant à aligner la taxation sociale de tous les produits d'épargne, a donc fait une volte-face spectaculaire. Tout en récusant l'accusation de rétroactivité (qui il est vrai en matière fiscale n'existe pas vraiment, sauf sur les produits et gains déjà imposés précédemment), il promet "la stabilisation de la fiscalité de l'épargne pour que les Français soient rassurés".

Et voilà que le ministre du Budget recule sur cette mesure déjà votée, un recul partiel  puisque seuls les PEA, les PEL et l'épargne salariale (participation et intéressement) échapperont à la nouvelle règles. En revanche, les contrats d'assurance-vie en unités de compte seront bien soumis à cette taxation rétroactive qui n'en est paraît-il pas une, sur le plan légal, mais est bien ressentie comme telle par les contribuables, piégés. Ceci appelle deux remarques : le ministre du Budget semble un peu léger en assurant dans son entretien au JDD de la constitutionnalité de son nouveau dispositif au motif de "la spécificité de chaque produit d'épargne". La veille, il affirmait exactement le contraire dans son ultime tentative pour résister à la demande des députés socialistes de reculer.

Deuxième remarque, quelle est la cohérence économique d'exonérer les plans d'épargne en actions et l'épargne salariale, dont le principe est de favoriser des placements longs dans le capital des entreprises, alors que l'assurance-vie en unités de compte a exactement le même objectif ? Et que c'est justement dans le but de réorienter l'assurance-vie vers ces unités de compte que le gouvernement a retenu l'idée de créer, dans la prochaine loi de finances rectificative, des contrats euro-croissance fiscalement favorisés, c'est-à-dire de l'assurance-vie placée en actions et dont les fonds seraient bloqués cinq ans dans une logique de capitalisation ?

L'incohérence fiscale règne en maître à Bercy

Une longue question qui n'appelle pas vraiment de réponse tant l'incohérence fiscale semble régner en maître depuis 18 mois au ministère de l'Economie et des Finances et à celui du Budget. La seule réponse, c'est que l'Etat a besoin d'argent pour payer les dettes et est prêt à tout pour se remplir les poches. Il y a déjà eu l'affaire dite des "Pigeons", sur l'alignement de la taxation du capital sur celle du travail, une hérésie que François Hollande a en partie corrigé aux Assises de l'entrepreneuriat. Voilà maintenant que les "fourmis" épargnantes se font à leur tour attrapées pour avoir eu le mauvais goût d'avoir laissé leur argent faire des petits dans des produits d'épargne de long terme assortis pour cela d'avantages fiscaux qui sont compris en quelque sorte, dans le contrat moral passé avec l'Etat.

Faut-il donc que nos ministres n'aient jamais eu de produits d'épargne pour ne pas comprendre. La lecture des données sur le patrimoine dévoilées au printemps dernier suite à l'affaire Cahuzac le montre : à part quelques rares exceptions, ceux qui nous gouvernent ne sont pas des épargnants très avisés. Leur patrimoine est placé en immobilier et dans des comptes et des livrets bancaires, beaucoup plus rarement dans des produits de capitalisation destinés à apporter à l'économie les financements en fonds propres que l'on affirme pourtant vouloir encourager. C'est peut-être là l'explication de leur incapacité à comprendre leurs erreurs avant de les faire…En somme, en France, on favorise les placements improductifs, l'immobilier et les oeuvres d'art (une visite à la FIAC suffit pour s'en convaincre), et on fait tout pour dissuader les épargnants de financer les entreprises dont on espère les créations d'emplois. Il ne faut pas s'étonner alors d'avoir plus de 3 millions de chômeurs...

Ras-le-bol ou poujadisme fiscal ?

Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée. C'est aussi vrai en matière de fiscalité. Tentant de se défendre dans la pathétique affaire Leonarda, François Hollande a reconnu que si l'expulsion de la famille Dibrani avait respecté les règles légales, en revanche, la police avait fait preuve d'un "manque de discernement" dans les modalités en allant arrêter la jeune fille à la sortie d'un bus scolaire. Faut-il donc s'inquiéter de la part de Bercy d'un identique "manque de discernement" en matière d'impôt et de rétroactivité de l'impôt. Le seul à avoir été un peu lucide, Pierre Moscovici, a reconnu cet été le "ras-le-bol fiscal" des Français mais le ministre de l'Economie et des Finances a payé sa franchise d'une aussi franche impopularité chez les députés socialistes. Et n'a rien fait pour empêcher la mesure sur l'épargne longue de passer. Avec le secret espoir que celle-ci finisse comme celle sur les plus-values ? On ne peut pas exclure une telle duplicité, car l'homme est intelligent et rusé. Dimanche, Pierre Moscovici a déclaré sur Europe 1, pour clôturer cet épisode, que "la capacité d'écoute" est une "vertu"... Certes, mais ne serait-il pas plus simple d'écouter avant de prendre des mesures qui vont droit au krach de façon quasi-certaine et alimentent le ressentiment de l'opinion et l'impopularité de l'exécutif ? En méthode, cela se discute. Avant de faire n'importe quoi, la vertu d'un politique n'est-elle pas de réfléchir avant de franchir les limites ?

Ce ras-le-bol fiscal est devenue une véritable plaie fiscale sur le corps écorché d'un pays chez qui désormais la moindre égratignure fait mal. La violente révolte des Bretons contre l'écotaxe poids-lourds (qui ne les concerne pourtant qu'à 50% du taux prévu et il faut le reconnaître, décidée par la majorité de droite précédente), la montée dans tout le pays, chez les petits patrons notamment, d'une nouvelle forme de poujadisme fiscal qui fait le jeu des extrêmes est extrêmement inquiétante pour le pacte républicain et pour la démocratie. Ce qui a fait mal, dans cette épisode de la taxe sur l'épargne, ce n'est pas le montant (600 millions d'euros, soit dix fois moins que ce que rapportera la hausse par Nicolas Sarkozy de 11 à 15,5% en trois ans du niveau des prélèvements sociaux). C'est la méthode, le sentiment qu'ont eu les petits et moyens épargnants de se retrouver piégés par un Etat omnipotent. Ce que révèle cette affaire, c'est bien en réalité un terrible et très préoccupant affaiblissement de l'Etat et de sa légitimité à augmenter encore et encore les impôts. Un plus grand discernement devra donc s'imposer à l'avenir, lorsqu'il s'agira de réaliser enfin la vraie réforme fiscale juste que promettait le candidat Hollande de 2012. Car, c'est la morale de cette affaire, de pause fiscale, il n'y aura pas. Le terme "pause" est d'ailleurs particulièrement inapproprié, puisqu'il suggère l'immobilisme là où au contraire, c'est d'une intelligence fiscale en mouvement dont la France aurait bien besoin…

Et ne parlons même pas de la tentative, jusqu'ici avortée, des clubs de football d'obtenir une dérogation, qu'il n'obtiendront pas, de la fameuse taxe Hollande à 75%. Alors que Monaco en est exonéré, et que le PSG, financé par les milliards du Qatar, s'en moque sans doute éperdument, on touche là le fond de la démagogie fiscale et de la fracture entre ceux, les plus nombreux, qui acceptent la solidarité et ceux, minoritaires, qui passent leur temps à essayer de s'en abstraire en réclamant des "indulgences" de l'Etat. Soit il ne fallait pas prendre cette mesure économiquement absurde, soit elle doit s'appliquer à tous, sans exception, patrons, artistes, sportifs. Toute dérogation dans ce domaine ne pourrait qu'attiser encore plus le feu de la révolte fiscale qui gronde chez les "petits". Pour François Hollande, c'est un piège fiscal qui est en train de se refermer...