Fiscalité : de l'art de la reculade selon Jean-Marc Ayrault

Par Ivan Best  |   |  695  mots
Depuis la Chine, Jean-Marc Ayrault a évoqué une réforme fiscale étalée sur 10 ans
Le premier ministre évoque désormais une réforme fiscale "sur 10 ans". Ou comment organiser le report de la "remise à plat" de la fiscalité

Ce fut une annonce choc. Jean-Marc Ayrault le promettait, dans une interview aux Echos, parue le 19 novembre, il allait « remettre à plat » la fiscalité. Et ce dès 2015. Le projet serait présenté sans tarder, l'été prochain. Une belle et grande réforme comme la réclament les éditorialistes, qui, pour le coup, se trouvaient étonnés d'avoir vu leurs vœux exaucés… Abasourdis par tant d'audace, ils finissaient -sans craindre la contradiction- par appeler le premier ministre à la prudence.

Trois semaines plus tard, le chef du gouvernement, dont l'offensive fiscale a réussi en ce qu'elle a fait efficacement diversion -on ne parlait avant cette annonce que de crise de régime, remaniement, dissolution, et ces sujets ont disparu- se sent contraint de revenir aux réalités, et tente d'organiser la reculade. Comment interpréter autrement ses propos, qui pour avoir été tenus en Chine, n'en sont pas moins clairs : « Il faut deux quinquennats, il faut dix ans » pour réformer la fiscalité, y compris celle des collectivités locales. La réforme « ira jusqu'au bout, même au-delà du quinquennat, par étapes, sans brutalité » a-t-il insisté.

Renvoyée à des jours meilleurs

Une manière de renvoyer la mise en œuvre de la réforme à des jours meilleurs. Ce qui paraît raisonnable, aux yeux des connaisseurs du sujet. Certes, tout le monde est d'accord pour réclamer au système fiscal plus de lisibilité. Comment s'opposer à ce souhait ? Mais le problème est ailleurs : une réforme des impôts, c'est d'abord et avant tout des transferts de charge.

Après la réforme, certains paient moins, et d'autre plus. Les premiers ne remercient que du bout des lèvres, les seconds hurlent, manifestent… Le seul moyen de faire passer la pilule, c'est de faire baisser le niveau global des impôts, pour adoucir la facture des perdants. Or Jean-Marc Ayrault, contraint par l'objectif de baisse des déficits, veut une réforme « à rendement constant » . Ce qui n'est guère concevable.

Quelle baisse des dépenses?

Autrement dit, il sera possible de réformer les impôts quand leur allègement sera envisageable. La solution, souvent évoquée, est de coupler baisse des impôts et des dépenses publiques. Mais, outre que la diminution des dépenses servira d'abord à baisser le déficit, au cours des années à venir - elle ne peut évidemment pas servir deux fois-, son ampleur sera limitée, tant les résistances sont grandes. "C'est facile d'être dans l'ambiguïté » a déclaré Jean-Marc Ayrault à propos des positions de certains partenaires sociaux, au premier chef le patronat : « c'est facile de dire il y a trop d'impôts, sans dire comment on fait des économies » a-t-il souligné.

Seule l'Allemagne a vraiment pratiqué la rigueur sans croissance

Tout est question de courage politique, mais pas seulement. La vérité, c'est que, contrairement à une idée reçue, aucun pays n'a vraiment baissé ses dépenses, surtout pas en période de stagnation économique. Au cours des années 90, le Canada et la Suède ont gelé leurs dépenses publiques sur plusieurs années, mais ont su accompagner cette rigueur d'une politique économique dopant la croissance, au moyen principalement d'une dévaluation de leur monnaie… En raison de cette forte croissance, la dépense publique a évidemment reculé en proportion du PIB.

Le pays qui s'est approché le plus d'une expérience de coupes budgétaires non compensées par de la croissance économique, c'est l'Allemagne. Avec des conséquences sociales que les électeurs français ne sont pas près d'accepter : indemnisation des chômeurs réduite drastiquement, mini jobs sous payés, appauvrissement des retraités (le nombre de retraités sous le seuil de pauvreté est deux fois plus important en Allemagne qu'en France, selon une étude récente de l'OCDE).

 Une stratégie de politique fiscale?

Voilà pourquoi Jean-Marc Ayrault se dirige à grands pas vers un étalement sur le moyen-long terme de toute mesure fiscale. Reste à savoir s'il s'agit là d'un enterrement ou de la mise en perspective d'une véritable réforme, issue d'une stratégie mûrie de politique fiscale.