Carburant : les compagnies pétrolières, des bouc-émissaires bien commodes

Par Robert Jules  |   |  792  mots
Xavier Bertrand et Emmanuel Macron, le 8 novembre. (Crédits : Reuters)
ÉDITO. Le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, exige d'Emmanuel Macron qu'il fasse pression sur l'industrie pétrolière pour faire baisser les prix de l'essence. Mais c'est mal connaître la composition du tarif du carburant.

Après Ascoval, Xavier Bertrand a pris prétexte de la colère populaire déclenchée par la hausse des prix des carburants pour interpeller à nouveau Emmanuel Macron. Homme politique expérimenté, il se place ainsi dans une séquence d'opposition privilégiée au président.

"Je demande au président de la République et au gouvernement: qu'est-ce qu'ils attendent pour convoquer les pétroliers ?", a-t-il asséné jeudi sur BFM. Cette demande illustre le même biais des politiques à l'égard de l'industrie en général : stigmatiser des choix qui relèvent de logiques sectorielles, mais ne jamais remettre en question des choix politiques, en particulier le recours croissant à la fiscalité pour résoudre les problèmes. En effet, c'est l'imposition d'une nouvelle taxe -ou, dans le cas du diesel, la réduction d'une fiscalité avantageuse-, qui joue sur les prix à la pompe, davantage que l'évolution du cours du baril.

Les automobilistes sont des électeurs

Ainsi, l'élu dit ne pas comprendre pourquoi, alors que "le prix du baril (...), depuis début octobre, [a] baissé de 20%", le litre, lui, n'a baissé que de "3% à 5%", se demandant "où est passée la différence?". Ce faisant, il accuse implicitement les compagnies pétrolières de se faire de l'argent sur le dos des automobilistes, qui, comme chacun sait, sont aussi des électeurs.

Les compagnies pétrolières représentent des boucs-émissaires bien commodes. Non seulement, elles gagnent de l'argent, mais elles sont aussi montrées du doigt pour leur contribution au réchauffement climatique. Bref, dans l'opinion publique, elles ont déjà perdu.

Il n'en reste pas moins que, si l'on en reste aux faits, Xavier Bertrand se trompe lourdement. Même un calcul grossier le montre. Depuis son pic de début octobre, le prix de référence du baril de pétrole, le Brent extrait de la mer du Nord pour l'Europe, est passé de quelque 84 dollars à quelque 70 dollars, soit une baisse de 14 dollars, soit environ 17%. Un baril de pétrole contenant 159 litres, la baisse par litre est de 8,8 cents, soit 7,7 centimes d'euros.

La part du brut est de 25% dans le prix de l'essence

En France, la part du pétrole brut dans le prix de l'essence est de 25%, celle des taxes de 65%, les 10% restant se répartissant entre les coûts de raffinage et la distribution. Le prix moyen de l'essence évoluant autour de 1,53 euro, une baisse de 7,7 centimes, correspond exactement à 5% du prix. Autrement dit, la baisse, insuffisante aux yeux de Xavier Bertrand, correspond bien à celle répercutée dans le prix de l'essence.

Les compagnies pétrolières ne sont pas en cause. Contrairement à une idée reçue, la plupart sont plutôt bien gérées à travers le monde, si l'on tient compte des lourds investissements que l'exploitation nécessite sur des horizons de temps qui se calculent en décennies. Sans compter que le prix de ce produit non renouvelable évolue avec de grandes amplitudes. Et si le pétrole est stigmatisé dans l'opinion, il n'en reste pas moins aujourd'hui qu'il demeure un produit indispensable à notre progrès matériel, auquel la majorité des individus continue d'aspirer. C'est la raison pour laquelle nous en consommons de plus en plus, le volume variant précisément en fonction de la croissance économique.

C'est d'ailleurs là la raison de la grogne populaire, notamment dans les zones périurbaines et rurales, là où l'utilisation de la voiture n'est pas un luxe, mais une nécessité pour se déplacer, souvent pour le travail. Et, dans ce contexte, une hausse des prix de l'essence pénalise en premier lieu les ménages les plus modestes. Le gouvernement l'a d'ailleurs entendu en étudiant une compensation sous la forme d'un chèque énergie.

Changer nos habitudes

La colère contre le gouvernement, et non contre les compagnies pétrolière, serait donc plus justifiée car c'est l'imposition d'une taxe qui l'a déclenchée. Emmanuel Macron l'a défendue au nom de la nécessité de devoir changer nos habitudes pour lutter contre le réchauffement climatique et la pollution. Et l'on ne peut pas reprocher au gouvernement de vouloir développer une politique de lutte contre le réchauffement climatique que désire la population, si l'on en croit les sondages qui ont suivi la démission de Nicolas Hulot. Mais cette politique heurte aussi logiquement nos façons de vivre.

Alors, certes, le gouvernement est face au paradoxe d'une politique écologique largement souhaitée et... très critiquée dès qu'elle est appliquée. Mais que l'opposition politique essaye d'en tirer un bénéfice en exigeant d'Emmanuel Macron qu'il fasse payer les compagnies pétrolières est pure démagogie.