Et si le clivage gauche-droite n'avait pas disparu

Par Philippe Mabille  |   |  998  mots
Emmanuel Macron a fondé son succès sur l'idée que le clivage droite-gauche avait vécu. Mais avec son programme, prudent et réaliste, qui se situe dans une certaine continuité avec l'action menée par François Hollande, il est en train de devenir le candidat le plus représentatif du système. Ce qui pourrait pousser nombre d'électeurs un temps séduits par lui à revenir à la classique division droite-gauche.

Après de folles semaines dignes d'une série américaine type « Scandal » ou « House of Cards », la présidentielle française semble enfin entrer dans la dernière ligne droite, celle de la comparaison des projets et des programmes. Sous réserve de nouveaux rebondissements judiciaires dans l'affaire Fillon, dont l'éventuelle mise en examen dans l'enquête concernant le soupçon d'emploi fictif de son épouse Pénélope sera connue le 15 mars, il ne reste plus que 45 jours avant le premier tour du 23 avril et 54 jours avant que ne soit connu le prochain président de la République, le 7 mai. C'est peu, mais beaucoup de choses peuvent encore se passer pour mettre en cause les certitudes du mois de mars.

Recomposition complète du paysage politique français

Ce qui domine dans cette élection, c'est le sentiment qu'il y a à l'œuvre une recomposition complète du paysage politique français. Les primaires l'ont montré : il y a, à droite comme à gauche de l'échiquier politique, une profonde division qui fracture l'électorat. Dans les deux camps, la primaire a servi à trancher la ligne politique plus qu'à seulement choisir un homme. Dans les deux cas, c'est la ligne la plus radicale qui l'a emportée, en la personne du « troisième homme », celui que l'on n'attendait pas et que les sondages n'ont pas vu venir. Si la droite avait voulu s'assurer de sa victoire et de l'alternance, elle aurait choisi Alain Juppé. Cela a pourtant été François Fillon, qui s'est placé sur une ligne plus à droite, très libérale sur l'économie et très conservatrice sur la société. Fillon, qui a fait preuve dans les dernières semaines d'une capacité de résistance hors norme face à la pression non seulement des médias et de l'opinion, mais aussi de son propre camp, a justifié le maintien de sa candidature par la volonté de respecter le choix démocratique de la primaire. De fait, on voit bien que le candidat de la droite dispose d'un socle électoral encore solide, de 17 à 18%.

Hamon semble revenir à un programme plus réaliste

A gauche, la victoire de Benoit Hamon illustre elle aussi la radicalisation d'une partie de l'électorat socialiste qui a été séduit par son offre politique originale, écolo-sociale, et sa conviction forte, celle de la raréfaction inévitable du travail, qui l'a conduit à ouvrir un débat, sans doute prématuré, sur le revenu universel. Même s'il a mis depuis un peu d'eau dans son vin et semble revenir vers un programme plus réaliste, le candidat socialiste, issu des frondeurs qui ont mené la vie dure à François Hollande et Manuel Valls, a réussi à modifier en sa faveur le centre de gravité de la gauche. Son défi consiste désormais à rassembler son camp et à réconcilier les gauches autour d'un projet commun, ce qui ne sera pas facile en l'absence de compromis avec Jean-Luc Mélenchon et alors que l'aile droite du PS, furieuse de l'accord jugé « déséquilibré » passé avec les Verts, est en train de se mettre en marche vers Emmanuel Macron.

Trois populismes

Cette recomposition politique s'explique par la polarisation de l'électorat tenté par les trois populismes qui constituent la nouvelle offre politique de 2017 : populisme de droite avec Marine Le Pen, populisme de gauche avec Jean-Luc Mélenchon et populisme du centre avec Emmanuel Macron. Bénéficiant d'un espace béant ouvert au centre du fait de la radicalisation des deux camps traditionnels, l'ancien ministre de l'économie, parti d'un positionnement anti-système, a fondé son succès sur l'idée que le clivage droite-gauche avait vécu. Paradoxalement, alors que l'histoire semble lui donner raison, il est en train de devenir le candidat le plus représentatif du système : son programme, prudent et réaliste, est sans aucun doute le plus compatible avec les engagements européens de la France. Il incarne même une certaine continuité avec l'action menée par l'actuel président de la République, François Hollande, dont il apparaît de facto comme l'héritier.

Un piège redoutable

Ce positionnement, qui lui a permis de se retrouver en tête des candidats qualifiés pour le second tour de la présidentielle face au Front national, est donc un piège redoutable qui pourrait se retourner contre lui. Emmanuel Macron au second tour face à Marine Le Pen, c'est le candidat du TINA (« there is no alternative »), qui serait opposé à la candidate du « Frexit », dont le programme propose la sortie de l'euro et sans doute aussi de l'Union européenne. Pour l'instant, les sondages donnent le premier largement vainqueur. Mais est-ce si sûr ? A peine 4 électeurs sur 10 se disent certains de leur choix en faveur d'Emmanuel Macron au premier tour, contre 8 sur 10 pour Marine Le Pen. Cette fragilité de l'électorat de Macron rassure les deux candidats traditionnels, François Fillon et Benoit Hamon. Leur pari est que le jour du vote réel, dans le secret de l'isoloir, les électeurs indécis reviendront vers le bon vieux clivage droite-gauche, et voteront pour le candidat du parti pour lequel ils ont toujours voté, celui qui leur semblera le mieux à même d'incarner leurs idées et de construire une majorité pour mettre en œuvre leur projet.

Avec qui gouverner après les législatives?

Ce dernier point est la vraie faiblesse des deux candidats promis au second tour : qu'il s'agisse d'Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen, nul ne sait avec qui ils pourront gouverner après les législatives de juin qui seront le troisième tour de la présidentielle. C'est peut-être la chance et la revanche des partis traditionnels que d'apporter une réponse à cette question. On verra si dans les dernières semaines de la campagne, la droite et la gauche sauront tirer parti de cet avantage pour ramener, ou pas, au bercail les brebis-électeurs égarées...