Fillon, un Schäuble français  ?

Par Robert Jules  |   |  871  mots
Les électeurs de droite ont trouvé en la personne et le programme de l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy ce qu'ils attendaient : un conservatisme en matière de valeurs et un libéralisme en matière d'économie, qui soient clairement affirmés et assumés.
François Fillon a remporté un vote d'adhésion conservateur dimanche, lors de la primaire de la droite et du centre. Les Français voient-ils en lui un de Gaulle ou une Thatcher? Et si c'était plutôt un nouveau Wolfgang Schäuble?

L'écrasante victoire (44,1%) de François Fillon au premier tour de l'élection de la primaire de la droite et du centre a surpris tout le monde. Outsider il y a quelques semaines, rival devenu crédible la semaine dernière, il a relégué loin derrière les favoris : Alain Juppé (28,6%) et Nicolas Sarkozy (20,6%).

Une telle performance ne peut s'expliquer que par une forte adhésion des électeurs de droite, qui ont trouvé en la personne et le programme de l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy ce qu'ils attendaient : un conservatisme en matière de valeurs et un libéralisme en matière d'économie, qui sont clairement affirmés et assumés.

Modèles trompeurs

Parmi les références qui l'ont inspirées,  François Fillon a régulièrement évoqué le Général de Gaulle, celui de 1958 et 1959, et il ne se disait pas hostile à une comparaison avec Margaret Thatcher. Pourtant, ces modèles sont trompeurs.

La comparaison avec le général de Gaulle, il est vrai, mixe une politique conservatrice en matière de mœurs (la censure s'exerce) et une ouverture libérale (libre-échange, fin du contrôle des changes, baisse des taxes douanières), notamment sous l'influence de l'économiste Jacques Rueff. Mais le rôle de l'Etat reste central, que ce soit en matière de politique monétaire (dévaluation) ou encore de contrôle des dépenses. Il existait aussi une volonté de collaborer avec les syndicats. En outre, nous n'étions pas alors dans une économie mondialisée où le commerce et la finance sont largement libéralisés, mais dans un cadre national où l'Etat était le pivot et le moteur de l'économie. Aujourd'hui, le gouvernement n'a plus la maîtrise de la monnaie - la BCE est indépendante pour fixer la politique de l'euro -, et nous sommes régis par des traités européens qui nous engagent.

Héritage chrétien

En revanche, François Fillon ne craint pas, comme de Gaulle, de se réclamer de l'héritage chrétien, notamment catholique, en ces temps postmodernes et relativistes. Il a d'ailleurs à plusieurs reprises évoqué le sort des chrétiens d'Orient. Il considère la famille comme un pilier de la société civile, ce qui a séduit les électeurs proches de « la manifestation pour tous ».

Enfin, comme de Gaulle, il défend l'indépendance de la France, face à l'alignement atlantiste de ses concurrents, justifiant certaines alliances au nom de l'intérêt du pays. Par exemple, discuter avec Vladimir Poutine si cela permet de mettre fin rapidement à la guerre en Syrie et d'éliminer Daech.

Quant à l'influence de Margaret Thatcher, elle réside surtout dans le courage politique qu'il faut pour imposer un programme économique qui se veut un véritable choc : augmentation de la durée hebdomadaire du travail de 35h à 39h, âge de départ à la retraite porté de 62 ans à 65 ans, fixation de quotas d'immigration, suppression de 500.000 emplois publics et réduction des dépenses publiques de 100 milliards sur l'ensemble du quinquennat, baisse des impôts pour les sociétés et les ménages. Bref, réduire le rôle de l'Etat et le coût de l'Etat-providence, la marque de fabrique du « thatchérisme ».

Thatcher n'a pas réformé la sécurité sociale

Or, si la « Dame de fer » a incontestablement libéralisé l'économie, elle n'a pas réduit les dépenses sociales : par exemple, si elle a baissé les indemnités chômage, elle a augmenté les pensions d'invalidité. La sécurité sociale n'a pas été réformée. Que ce soit en matière d'emploi, de santé, d'éducation, les dépenses publiques ont finalement plutôt augmenté. Quand à la vie sociale, on était loin du « régime fasciste » hurlé par les Sex Pistols, même si les inégalités ont augmenté durant son règne.

En fait, ce n'est ni dans le passé, ni outre-Manche, qu'il faut aller chercher l'exemple le plus proche de François Fillon mais outre Rhin. Et ce n'est pas tant Angela Merkel - qui a annoncé briguer un quatrième mandat - que son ministre des Finances, Wolgang Schäuble. Ce dernier, qui représente l'aile conservatrice de la CDU, le parti de la démocratie chrétienne allemande, n'hésite pas à revendiquer les racines chrétiennes qui fondent l'Europe, et la nécessité de perpétuer cet héritage. Confronté à la montée d'un parti sur sa droite, la CDU d'Angela Merkel doit se montrer attentive à ces positions.

L'ordolibéralisme

Surtout, il est partisan d'une ligne économique « orthodoxe » qui prône l'équilibre budgétaire, car il ne peut y avoir selon lui de croissance économique solide sans la réduction préalable de la dette publique et des déficits budgétaires. Bref, il est le défenseur d'une politique qualifiée « d'austérité », que nombre de Français pensent nécessaire pour relancer l'activité et réduire le chômage.

Si, en 2017, François Fillon était élu en France et Angela Merkel réélue en Allemagne, nul doute que l'axe franco-allemand redeviendra le moteur européen, mais son essence sera l'ordolibéralisme.