L'Europe, on la change ou elle meurt...

Par Philippe Mabille  |   |  983  mots
Le moment décisif de l'entre-deux-tours sera le duel télévisé entre les deux finalistes, mercredi 3 mai. Tout laisse penser que l'Europe en sera le principal enjeu et le fil conducteur.
Le duel Macron-Le Pen voit s'affronter deux visions de la France et du monde radicalement opposées : ouverture à la mondialisation contre protectionnisme, poursuite de la construction européenne contre repli national et fermeture des frontières.

La campagne présidentielle se passe beaucoup sur les réseaux sociaux où des torrents de haine se déversent chaque seconde, signe d'une certaine... vitalité démocratique. Et il s'en passe des choses sur les réseaux sociaux depuis l'annonce des résultats du premier tour, dimanche 23 avril. Un hashtag fait fureur : #sansmoile7mai (avec son petit frère #jamaismacron). Il exprime la colère de ceux des électeurs des candidats vaincus qui, considérant que leur élection leur est « volée » en leur proposant un choix impossible, ont décidé d'aller à la pêche pour le second tour. Et donc de ne pas choisir entre les deux finalistes, renvoyés dos à dos. En cela, ce 23 avril 2017 ressemble un peu à un 21 avril inversé.

Un risque pourtant réel

Parmi les arguments utilisés, beaucoup, notamment parmi les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, qui, à la différence de 2002, s'est refusé à participer au front républicain anti-FN, pensent que le danger d'une accession de Marine Le Pen à l'Elysée est nul. Et qu'il n'y a pas grand risque à faire le choix de l'abstention ou d'un vote blanc ou nul. Certes, Marine Le Pen aura du mal à trouver les 11 millions de voix en théorie nécessaires pour s'imposer le 7 mai. Mais, l'analyse des estimations de report de voix le montre, le risque est pourtant réel : le tiers des électeurs de François Fillon, près de 1 électeur de Jean-Luc Mélenchon sur 5 et 8% de ceux de Hamon déclarent donner leur voix au Front national. Cela fait déjà près de 4 millions de voix, sans compter ceux des près de 10 millions d'abstentionnistes du premier tour qui pourraient voter Le Pen au second. Sachant que 26% des électeurs de Fillon, 30% de ceux de Mélenchon et 12% de ceux de Hamon semblent décidés à s'abstenir, il y a intérêt à ce que les autres électeurs, ceux du camp #avecmoile7mai, se mobilisent. La marge de réserve de voix en faveur d'Emmanuel Macron est réelle, mais elle est friable et instable, dans un pays où 18 millions d'électeurs viennent de voter pour faire « turbuler » le système en éliminant le parti socialiste sortant et la droite censée incarner l'alternance.

Macron doit élever son niveau de jeu

Face à ce choc politique, le candidat d'En Marche, un centriste pro-européen, va devoir d'urgence élever son niveau de jeu face à une Marine Le Pen qui n'a rien à perdre. Son discours, jugé « pas à la hauteur », le soir du premier tour, n'a pas convaincu. Et la légèreté de son comportement avec un dîner de pré-victoire un peu prématuré a déçu même ses plus fidèles soutiens. Emmanuel Macron peut compter sur une opinion bien consciente qu'un moment décisif de l'histoire du pays et de l'avenir de l'Europe se joue. Mais on aurait tort de penser que le pire ne peut pas arriver.

Les plus nihilistes disent que de toutes façons, c'est reculer pour mieux sauter, que si Macron passe, ce sera le lit pour faire élire Le Pen en 2022. Mais l'argument, pour le moins immature, ne tient pas debout, parce que là, c'est du réel : si Macron ne passe pas, ce sera Marine Le Pen en 2017 !

L'Europe, le principal enjeu

Le moment décisif de l'entre-deux-tours sera le duel télévisé entre les deux finalistes, mercredi 3 mai. Tout laisse penser que l'Europe en sera le principal enjeu et le fil conducteur. Soutien d'Emmanuel Macron des premiers jours, le maire de Lyon, Gérard Colomb, l'a dit sans fioritures : le second tour sera « un référendum pour ou contre l'Europe ». Ce sera le match retour du référendum de septembre 1992 sur le traité de Maastricht, passé ric-rac avec 51,04% de « Oui » et de celui sur la constitution européenne de 2005 (54,68% de « Non »).

Avec le duel Macron-Le Pen, la mère de toutes les batailles va enfin avoir lieu, entre deux visions de la France et du monde radicalement opposées : ouverture à la mondialisation contre protectionnisme, poursuite de la construction européenne contre repli national et fermeture des frontières. L'élection, probable, d'Emmanuel Macron, ne doit pas laisser croire que la question européenne sera tranchée définitivement. Celle, très improbable, de Marine Le Pen, serait un tremblement de terre de très grande magnitude. Plus grande que le Brexit ou l'élection de Trump. C'est pour cela que le monde entier et tous les investisseurs ont les yeux rivés sur la France.

Ce qui semble sûr, c'est que le principal frein à l'élection de Marine Le Pen, c'est moins la nature du Front national, que sa présence aux premiers rangs de toutes les élections locales et nationales banalise, que la crainte du « saut dans le vide » que représente sa volonté de sortir de l'Union européenne et de revenir au franc.

Un électeur sur deux pour une rupture radicale avec l'Europe

Le problème, c'est que cette crainte n'a pas dissuadé près d'un électeur sur deux de voter, certes avec des sensibilités différentes, pour une rupture radicale avec l'Europe telle qu'elle est. Emmanuel Macron, s'il veut rassembler le pays, va devoir en tenir compte. Il a commencé à le faire en soulignant qu'il n'était pas, contrairement à ce dont l'accuse Marine Le Pen, un « eurobéat ». Lucide, il a à plusieurs reprises reconnu que « si rien ne bouge, il n'y aura plus de zone euro dans dix ans ». Jean-Luc Mélenchon avait déclaré : « L'Europe, on la change, ou on la quitte ». Ce que l'élection inédite de 2017 en France annonce, c'est une autre certitude dont Emmanuel Macron devra porter le message pour contrer celui de son adversaire : « l'Europe, elle change, ou elle meurt ». Espérons qu'il est encore temps de la changer, en mieux, et que le message sera bien entendu de Bruxelles à Berlin.